samedi 12 mars 2011

Même le silence a une fin


« Enchaînée par le cou à un arbre, privée de toute liberté, celle de bouger, de s'asseoir, de se lever ; celle de parler ou de se taire ; celle de boire ou de manger ; et même la plus élémentaire, celle d'assouvir les besoins de son corps... J'ai pris conscience – après de longues années – que l'on garde tout de même la plus précieuse de toutes, la liberté que personne ne peut jamais vous ôter : celle de décider qui l'on veut être. »
Même le silence a une fin raconte les six ans et demi de captivité d'Ingrid Betancourt dans la jungle colombienne aux mains des FARC. Récit intime d'une aventure qui ne ressemble à aucune autre, voyage hanté, palpitant du début à la fin, c'est aussi une méditation sur la condition des damnés – et sur ce qui fonde la nature humaine.
« Je comprenais maintenant que la vie nous remplissait de provisions pour nos traversées du désert. »
J’ai abordé ce livre avec devant les yeux deux images, l’une d’Ingrid Betancourt que le piéton nancéen ne pouvait ne pas voir tant son visage était omniprésent à l’hôtel de ville, l’autre d’une femme recouvrant la liberté et se signant à même le sol. Les deux images ne m’ont pas quittée tout au long des 700 pages. Je sais encore précisément où et avec qui j’étais, et qui me l’annoncé lorsqu’elle fut, enfin libérée. En rentrant chez moi, vite, pour voir, je me suis dit tout au long du trajet, et moi, qu’aurais-je fait, aurais-je supporté 6 ans et demi de captivité, moi pour qui le mot liberté est le plus beau mot qui puisse exister ?
J’ai hésité à lire ce livre ; il est épais, écrit en petits caractères. Une lecture commune ayant pour cadre la Colombie m’a fait franchir le pas. Et je ne le regrette absolument pas. D’autant plus qu’Ingrid Betancourt est venue chez moi, parler de son expérience. Ce fut un crève cœur de ne pouvoir y assister, mais elle a eu la gentillesse d’un petit mot sur mon livre grâce aux bons soins de Madame Rossinot.
Ce récit est d’une rare dignité: autant dans le style, que dans les réflexions qu’elle nous livre. Il est écrit dans un français admirable ; langue qui lui est venue spontanément lors de la rédaction de ces pages.
Ingrid Betancourt choisit de plonger directement son lecteur dans l’enfer de la jungle colombienne en racontant sa quatrième tentative d’évasion, il y en aura 5 au total, et les conséquences que cela aura sur la suite de sa détention. Je lirai ce livre comme un récit d’aventures sans pouvoir le laisser ; et bien que le dénouement fût connu, je me dirigeais vers cette fin haletante digne d’un polar au suspense intenable. Ce premier chapitre montre d’emblée la détermination de l’auteur à sortir coûte que coûte de cet enfer.
Ce récit se compose de 82 chapitres, qui hormis les deux premiers sont à la fois chronologiques et thématiques. Les chapitres sont courts ; l’écriture y est élaborée, ciselée, et, d’une infinie pudeur. Malgré le désarroi, la captivité, le découragement, le texte maintient une grande retenue tout au long du livre. Est- ce que cela tient à la nature même du personnage, ou à la distance dans le temps par rapports aux faits ? Un peu des deux sans aucun doute.
De sa relation avec Clara, son assistante, avec laquelle elle fut enlevée, Ingrid Betancourt ne fait pas un grand étalage. Décrite comme quelqu’un d’assez peureux et soumis, elle assez peu présente dans ce récit. Les relations entre les deux femmes se sont détériorées, l’auteur ne s’en cache pas, mais reste courtoise et bienveillante.
La famille occupera une place proéminente. Son père, d’abord qu’elle aura la douleur de perdre en captivité, et dont elle apprendra le décès dans une feuille de journal laissée là par hasard pour mieux l’atteindre. C’est l’amour pour ses enfants et sa mère qui la teindront debout tout au long de ses 6 années de captivité grâce à la radio que les otages peuvent écouter, et qui pour eux sera la seule fenêtre ouverte sur le monde. Dans ses moments de désespoir : « je revenais donc à l’essentiel : j’étais mère avant tout. »
L’autre béquille sur laquelle Ingrid Betancourt se reposera est sans conteste sa foi inébranlable. Rares sont les livres qui lui seront permis, à part une Bible et un dictionnaire.
« Dans l’ennui qui était le mien, le lisais et je tissais. On m’avait donné une grosse Bible avec des cartes et des illustrations à la fin. Aurais-je pu découvrir les richesses de ce texte autrement que poussée par le désœuvrement et la lassitude ? Je crains que non. »
C’est sans aucun doute cela , aussi qui lui permis plus vite de pardonner, et d’écarter toute idée de vengeance.
Des FARC, nous apprenons la violence, le cynisme, la cruauté.
« Nous, dans les FARC, on est écolo ! On ne tue pas, on exécute ! » »Pauvre femme, elle sortira quand elle aura les cheveux jusqu’aux talons. »
« Ces monstres ont accepté que je m’occupe de vous parce qu’ils ont besoin d’une preuve de survie » lui dit un infirmier militaire, captif comme elle.
Les insultes, les brimades, les humiliations, les privations sont monnaie courante. Elle passera de longs moments la chaine au cou attachée à un arbre.
« Ils se ruèrent vers moi, me tordant les bras pendant que des mains aveugles me tiraient par les cheveux en arrière et m’enroulaient la chaine métallique autour du cou »
« La chaine se fut lourde et brûlante à porter. Je me rappelais trop combien j’étais vulnérable. »
La vie quotidienne en captivité est un élément central dans ce récit. Une vie, qui se déroule en permanence au vu et su de tout le monde, en milieu hostile, au milieu d’une faune repoussante. Chacun est sous le regard de l’autre, l’intimité n’existe plus, l’humain est bafoué. L’adaptation est nécessaire. La vie ensemble engendre des difficultés relationnelles, des discordes. Les dissensions arrangent bien les geôliers. « Diviser pour mieux régner. »
La promiscuité rend les rapports humains belliqueux.
« Les femmes étaient des cibles faciles » Avec infiniment de tact et de pudeur, en quatre lignes dignes et magnifiques Ingrid Betancourt parlera d’un viol ; pas besoin d’en dire plus, tout est dit, le lecteur a compris, serre les dents, voudrait les jeter tous à la rivière. Elle est seule face à tout ça……
Les barbares vont jusqu’à attribuer des numéros à leurs otage, pour mieux les rabaisser ; Ingrid résiste, s’accroche.
« Si le mot dignité avait un sens, alors il est impossible que l’on accepte de se numéroter. »
Je pourrais continuer ainsi à détailler, avec exemples à l’appui l’enfer de la captivité. Mais ce serait injuste à l’égard de l’auteur, que ne pas parler de ses moments de bonheur .Chaque occasion a été pour elle une façon de déceler une parcelle de lumière, et de se créer, autant qu’il lui était possible de le faire des moments de joie : la voix de ses enfants, et de sa mère qui lui parvenaient, les gâteaux qu’on lui permettait de confectionner à l’occasion de l’anniversaire de ses enfants, les rares livres qui parvenaient dans les nombreux camps où elle et ses compagnons d’infortune ont séjourné, ces quelques jours de liberté retrouvée au moment de sa cinquième tentative d’évasion, ses amitiés fortes avec quelques uns de ses compagnons comme Lucho, Marc.
J’ai découvert tout au long de cette lecture une personnalité complexe, aussi éloignée de la Sainte qu’on a voulu en faire lors de sa détention que de la garce et égoïste que certains ont décrite. J’ai découverte une personne humaine, tout simplement ; consciente de ses forces et de ses faiblesses.Parce qu’après tout, à sa place qu’aurais-je fait ? Comment me serais-je comportée ?
Ce livre est un coup de cœur pour la force, la dignité et l’humanité qu’il dégage.
Ce livre est un coup de cœur pour le témoignage qu’il représente.
Ce livre m’a remuée, interpellée.
Ce livre est à lire, tout simplement.
Ingrid Betancourt-Gallimard-590 pages

Née à Bogota le 25 décembre 1961
C'est entre Bogota et Paris, où son père est ambassadeur de Colombie à l'Unesco, que grandit Ingrid Betancourt. Après de brillantes études en sciences politiques à Paris, elle épouse un diplomate français. De retour en Colombie, elle est engagée au ministère des Finances à l'âge de 29 ans. Députée et sénateur, elle lutte contre la corruption et le trafic de cocaïne qui dévastent ce pays miné par plus de quarante ans de guerre civile, et dénonce les dirigeants compromis avec la mafia. Le projet de cette femme politique déterminée et courageuse : assainir le pays le plus corrompu d'Amérique latine. En 1998, elle crée son parti, Oxygeno. Candidate écologiste aux élections présidentielles, Ingrid Betancourt est enlevée par les FARC - forces armées révolutionnaires de Colombie -, principale guérilla de Colombie avec plus de 17.000 hommes, inscrite par l'Union européenne et les Etats-Unis sur la liste des organisations terroristes, sur une route au sud de Bogota, le 23 février 2002. Le 2 juillet 2008, alors que rien ne l'annonce, Ingrid Betancourt est libérée suite à une infiltration de l'armée colombienne au sein des FARC. L'otage franco-colombienne sort de la jungle après plus de six années de captivité, en même temps que trois otages américains et onze militaires colombiens

Lecture dans le cadre de Destination Colombie avec Evertkhorus


Bambi_slaughter- Elora - Evertkhorus-Flof13- guillome- Iluze- Nelfe- Sabbio- Scor13-Touloulou- Véro -
Lexounet-Frankie-
Lynnae
nanet

8 commentaires:

  1. Ce livre a vraiment l'air très bien ! Quand (et si) il sortira en poche, je pense l'acheter car l'histoire d'Ingrid Betancourt est fascinante. C'est cet avis-là que j'ai mis en lien dans ma chronique puisque tu l'avais plus aimé que l'autre livre.

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  2. il m'a beaucoup remuée
    Au delà de la captivité, il y a dans ce livre la femme telle qu'elle est et qu'elle se reconnait, avec ses zones d'ombre et de lumière.
    Beaucoup de dignité dans ce livre

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  3. Bravo pour cette lecture, Mimi, ça n'a pas dû être facile ... je ne sais pas si j'en aurais eu le courage !

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  4. Cela se lit comme un rien, les pages défilent toutes seules.Je n'ai aucun mérite, ce livre est superbement écrit.
    Pour le contenu, c'est vrai que souvent j'ai eu envie de crier, mais c'est la réalité; et puis c'est tellement digne .....

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  5. Oui je crois que cela n'a pas dû être une lecture facile, mais en tout cas, merci de nous avoir fait découvrir ce livre.

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  6. J'ai hésité à choisir ce livre mais le manque de temps m'a contraitn à un autre choix... ce témoignage reste dans ma LAL ! Joli billet !

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  7. Tu as rédigé un beau billet. On voit que la lecture t'a enthousiasmé. Je n'hésiterai donc pas à le lire si je le trouve

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  8. Ingrid Bettancourt est un personnage complexe, mais ton billet me donne envie de la lire. La lettre qu'elle a écrite à ses enfants (je ne sais plus le titre désolée) a été publiée aussi... j'en ai lu quelques extraits et j'avais trouvé la langue belle.

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