lundi 18 juillet 2011

Histoire d'une vie


Avec Histoire d’une vie, Aharon Appelfeld nous livre quelques-unes des clés qui permettent d’accéder à son œuvre : souvenirs de la petite enfance à Czernowitz, en Bucovine. Portraits de ses parents, des juifs assimilés, et de ses grands-parents, un couple de paysans dont la spiritualité simple le marque à jamais. Il y a aussi ces scènes brèves, visions arrachées au cauchemar de l’extermination. Puis les années d’errance, l’arrivée en Palestine, et le début de ce qui soutiendra désormais son travail : le silence, la contemplation, l’invention d’une langue. Et le sentiment de l’inachèvement lié au refus obstiné de l’autobiographie, dans son acception la plus courante : histoire d’une vie. Comme si le dévoilement de ce que chacun a de plus intime exigeait une écriture impersonnelle
« Où commence ma mémoire ? Parfois il me semble que ce n’est que vers quatre ans, lorsque nous partîmes pour la première fois, ma mère, mon père et moi, en villégiature dans les forêts sombres et humides des Carpates. D’autres fois il me semble qu’elle a germé en moi avant cela, dans ma chambre, près de la double fenêtre ornée de fleurs en papier. La neige tombe et des flocons doux, cotonneux, se déversent du ciel. Le bruissement est imperceptible. De longues heures, je reste assis à regarder ce prodige, jusqu’à ce que je me fonde dans la coulée blanche et m’endorme. »

Histoire d’une vie ne sont pas des mémoires. C’est un travail sur la Mémoire, que l’auteur a beaucoup occultée. Ainsi, c’est par bribes, à l’aide de chapitres parfois courts, que l’auteur évoque sa traversée des années, sa résilience.

Le thème de la mémoire est omniprésent, presque obsédant.
« Le cœur a beaucoup oublié, principalement des lieux, des dates, des noms de gens, et pourtant je ressens ces jours-là dans tout mon corps. Chaque fois qu’il pleut, qu’il fait froid ou que souffle un vent violent, je suis de nouveau dans le ghetto, dans le camp, ou dans les forêts qui m’ont abrité longtemps. La mémoire, s’avère t-il, a des racines dans le corps. »
Histoire d’une vie, c’est surtout l’histoire d’une résilience d’un homme confronté dès l’enfance aux horreurs nazies.
Sa résilience passera par le silence et la contemplation.
« La contemplation me procurait le plaisir que l’on trouve dans la sensation d’être oublié de tous. (…) Une vraie contemplation, comme la musique, est dénuée de contenu matériel. »

La langue est également, dans ce livre, un thème cher à l’auteur, lui qui aura été façonné par 4 d’entre elles : l’allemand, sa langue natale ; le Yiddish, la langue par laquelle se transmet le judaïsme ; le ruthène et le roumain parlés dans sa région natale. Il consacre un long passage à l’apprentissage de l’hébreu à son arrivée en Palestine.
« Sans langue un homme ne parle pas. Ma langue maternelle, que j’aimais, ne vivait plus en moi après deux années passées en Israël. »
« Ce que j’avais possédé-les parents, la maison, et ma langue maternelle -m’était perdu pour toujours, et cette langue qui promettait d’être une langue maternelle n’était rien d’autre qu’une langue adoptive. »

Il y aurait tant à dire, cet ouvrage, pourtant court, est d’une grande richesse. Dans un  style accessible, et bien écrit, Aharon Appelfeld parvient à nous émouvoir à plusieurs reprises ; en particulier le chapitre 11 dans lequel il évoque la cruauté des camps. Il a également su aiguisé ma curiosité en évoquant longuement les auteurs qui comme lui, issus de la diaspora ont inspiré l’écrivain respecté qu’il est devenu, avec en particulier, Yosef Agnon.

Il est finalement difficile de mettre en mots tout ce qui transpire de ce livre. Le parcours de cet homme, et la vision positive qu’il a gardé de l’humain malgré tout le reste forge le respect, et incite à le découvrir  davantage.
Aharon Appelfeld-Editions de l'olivier (2004)-240 pages - Prix Médicis étranger 2004

Aharon Appelfeld est né en 1932 à Czernowitz en Bucovine. Ses parents, des juifs assimilés influents, parlaient l’allemand, le ruthène, le français et le roumain. Quand la guerre éclate, sa famille est envoyée dans un ghetto. En 1940 sa mère est tuée, son père et lui sont séparés et déportés. À l'automne 1942, Aharon Appelfeld s'évade du camp de Transnistrie. Il a dix ans. Recueilli en 1945 par l’Armée rouge, il traverse l’Europe pendant des mois avec un groupe d’adolescents orphelins, arrive en Italie et, grâce à une association juive, s’embarque clandestinement pour la Palestine où il arrive en 1946. C’est le début d’un long apprentissage. Pris en charge par l’Alyat Hanoar, il doit se former à la vie des kibboutzim et apprendre l'hébreu. Suivent l’armée (en 1949) et l’université (1952-1956) où il choisit d’étudier les littératures yiddish et hébraïque, ainsi que la mystique juive. Ses professeurs sont Martin Buber, Gershom Scholem, Ernest Simon, Yehezkiel Kaufman. Comme lui, ils ont une double culture, mais c’est sa rencontre avec Shaï Agnon qui le convainc que « le passé, même le plus dur, n’est pas une tare ou une honte mais une mine de vie ». À la fin des années 1950, il décide de se tourner vers la littérature et se met à écrire, en hébreu, sa « langue maternelle adoptive ». À la fin des années 1980, Philip Roth découvre son œuvre avec émerveillement et fait de lui l'un des personnages de son roman, Opération Shylock. Un demi-siècle plus tard, Aharon Appelfeld, devenu l'un des plus grands écrivains juifs de notre temps, a publié une trentaine de livres, principalement des recueils de nouvelles et des romans.


1 commentaire:

  1. J'ai adoré ce livre, quelle force de vie, quelle intelligence pour arriver à raconter cette histoire sans misérabilisme aucun. Je suis allée en Allemagne au début du mois dans le cadre d'un jumelage. J'ai visité le camp de concentration de Dachau et le centre de documentation de Nuremberg, ce livre redevient présent en moi après ce voyage.

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