jeudi 29 septembre 2011

L'héritage d'Esther


L'héritage d Esther, publié en 1939, rassemble en un bref récit tout ce qui fait l'art de Marai. Retirée dans une maison qui menace ruine, engourdie dans une solitude qui la protège, une femme déjà vieillissante voit soudain ressurgir le seul homme qu'elle a aimé et qui lui a tout pris, ou presque, avant de disparaître vingt ans plus tôt. La confrontation entre ces deux êtres complexes - Esther la sage, ignorante de ses propres abîmes et Lajos l'insaisissable, séducteur et escroc - est l'occasion d'un de ces face à face où l'auteur des Braises et de La Conversation de Bolzano excelle. Un face à face où le passé semble prêt à renaître de ses cendres, le temps que se joue le dernier acte du drame, puisque " la loi de ce monde veut que soit achevé ce qui a été commencé ".
La tension dramatique extrême, l'atmosphère somnambulique, l'écriture sobre et précise font de ce court roman un véritable chef-d'œuvre.
C’est une heureuse découverte que j’ai fait là, avec cet auteur, dont l’écriture teinté de désuétude ne manque pas de charme, bien au contraire. Il n’y a rien de forcé, pas d’accumulation de formules, ni d’usage intempestif de temps de conjugaison quelque peu passés de mode ; juste ce qu’il faut.
C’est tout l’intérêt de ce court roman, plutôt que l’histoire en elle-même. Nous y retrouvons néanmoins toutes les complexités des êtres humains, qui ne sont jamais tout à fait blancs, ou tout à fait noirs, mais un mélange un peu compliqué de tout ça. C’est ainsi qu’Esther nous apparaît, avec ses contradictions, ses incohérences. Elle sait, pour Lajos, le connaît.
Esther, qui des années après, reçoit la visite de celui qu’elle a aimé, et qui tout au long de ces années l’a spoliée, trompée .Esther qui est bien décidée à ne plus céder, cette fois.
Esther qui le temps d’un retour non pas de l’homme prodige, mais de l’escroc prodige, se retourne sur un passé qu’elle croyait bien loin. Esther qui finit par renoncer et par céder.

C’est court, cela se lit facilement. L’écriture est délicieuse. Il règne une ambiance un peu particulière dans ce roman, une atmosphère lourde, renforcée par un huis clos, un nombre réduit de personnages, des fantômes qui ressurgissent. Mais une atmosphère allégée par ce style au charme d’autrefois, ciselé, sans fioriture, et, qui se laisse apprivoiser sans problème.
Sándor Márai-Albin Michel (avril 2001)-162 pages

Né en Hongrie en 1900, Sándor Márai connaît dès ses premiers romans un immense succès. Antifasciste déclaré dans une Hongrie alliée à l’Allemagne nazie, il est pourtant mis au ban par le gouvernement communiste de l’après-guerre. En 1948, il s’exile et part pour les Etats-Unis où il mettra fin à ses jours en 1989. Depuis une dizaine d’années, il jouit dans le monde entier d’une réputation égale à celle de Zweig, Roth ou Schnitzler.

C

Challenge ABC critiques Babélio 7/26 [M]

2 commentaires:

  1. Cela fait un petit moment que je me dis qu'il faut que je fasse connaissance avec cet auteur.
    Tu me confortes dans mon idée!!

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