samedi 24 mai 2014

Englebert des collines



Avec Englebert, j’entre presque par effraction dans l’oeuvre de Jean Hatzfzeld consacrée au génocide Rwandais. Nul doute, j’y reviendrai, mais de manière plus ordonnée. Cela étant, cela n’empêche en rien d’apprécier ce court récit.

C’est court, c’est net, et sans bavure ; c’est aussi tranchant que les machettes qui ont servi à décimer les populations Tutsis.

Jean Hatzfeld se met dans la peau d’un homme qui a la soixantaine, et qui erre tel un vagabond après avoir survécu aux terribles massacres qui ont jalonnés l’histoire de son pays. (Oui, tout cela a démarré en 1959, et s’est répété jusqu’à l’apothéose en 1994).

Englebert, c’est son nom, est bien connu de l’auteur. C’est à lui qu’il s’est confié des années après.
Cet homme intelligent, érudit comme on ne l’imagine pas  était promis aux plus belles carrières qui soient. Les drames, la perte de ses frères et sœurs, les fuites, les planques, les discriminations successives finiront par le casser. Englebert boit trop ; il erre dans sa ville de Nyamata. Mais Englebert est terriblement attachant. Englebert a baissé les bras, il n’attend plus rien.

« Le génocide m’a fait solitaire intérieurement, comme je l’ai dit. Voilà pourquoi dorénavant, j’évite les complications. Je vais, je laisse. Ceux qui m’aiment, ils sont le grand nombre, je les aime aussi. Ceux qui ne m’aiment pas, tant pis, je ne veux même pas les rencontrer. »

« En tant que rescapé, je n’aime pas qu’on me rappelle celui que j’ai été. » Englebert n’en veut à personne, il veut juste qu’on lui fiche la paix, pouvoir boire à sa guise, déambuler, rire.

« Ce qui me fait rire, c’est d’être content. Quand je suis content, j’aime amuser les autres. Mais j’évite le fou rire. Attention, je ne ris pas comme un idiot. »

Ce récit, qui se lit en apnée, nous happe, nous saisit, nous immerge en totalité avec celui qui a subi, mais ne se plaint pas. Le ton colle au plus juste. Le texte est superbe, fort et émouvant à bien des égards.

Je dois (j’ose dire encore) cette découverte à Bernard Poirette, qui quand il ne lit pas des polars a toujours de bonnes idées dans sa besace du samedi matin !


Englebert des collines, Jean Hatzfeld
Gallimard, Mars 2014
100 pages



4ème de couverture :

«Un matin, j’étais avec Alexis. Nous avons dissimulé deux enfants sous les feuillages et nous avons cherché notre trou de vase. Les tueurs sont venus en chantant. Ils se sont approchés tout près, j’ai senti leur odeur. J’ai chuchoté à Alexis : “Cette fois, nous sommes bientôt morts.” Il m’a répondu : “Ne bouge pas, je vais les feinter.” Il a hurlé le rire de la hyène. C’était très bien imité. Ils ont reculé de peur de la morsure. Mais en s’écartant de leur chemin, ils ont découvert une cachette de femmes et d’enfants. On a entendu les coups plus que les pleurs parce que les malchanceux choisissaient de mourir en silence
Voilà une quinzaine d’années, dans la ville de Nyamata, Jean Hatzfeld a rencontré Englebert Munyambonwa, qui arpentait en haillons la grande rue, s’arrêtant dans tous les cabarets, hélant les passants. Une amitié est née avec ce personnage fantasque, rescapé des brousses de Nyiramatuntu, fils d'éleveurs, grand marcheur aussi érudit qu’alcoolique, accompagné par ses fantômes dans un vagabondage sans fin.
A propos de l’auteur :

Jean Hatzfeld est né en 1949 à Madagascar. Il s’est inspiré de longues années de reportage ou de correspondance de guerre pour écrire plusieurs romans et récits. Il a publié des récits, L'Air de la guerre (prix Décembre 1994), Dans le nu de la vie (prix France Culture 2001), Une saison de machettes (prix Femina essai 2003), La stratégie des antilopes (prix Médicis 2007) et quatre romans dont La Guerre au bord du fleuve et La Ligne de flottaison.
De lui, les Éditions Gallimard ont déjà publié Où en est la nuit (collection Blanche, 2011, Folio n° 5432).

3 commentaires:

  1. Je l'ai entendu sur Inter un matin de bonne heure, et il en parlait très bien.

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  2. Je ne connaissais pas. Un homme attachant et un coup de cœur, ça mérite que je m'y intéresse.

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  3. Je ne connais pas, mais tu en parles si bien que je suis très tentée. Malheureusement, il n'est pas à la bibliothèque

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