Elle ne boit pas, ne fume pas, couche encore à 36 ans dans le lit maternel et aime bien rester chez elle. Chaque fois que ses horaires de professeur de piano au conservatoire de Vienne le lui permettent, elle se plaît à fréquenter les cinémas pornos, les peepshows et les fourrés du Prater. Et quand un de ses étudiants tombe amoureux d'elle, Erika Kohut ne sait lui offrir en échange qu'un scénario éculé, propre à redorer la vieille relation du maître et de l'esclave. Cru, féroce et en même temps d'un comique irrésistible, ce livre n'épargne ni l'amour maternel et ses vaines ambitions, ni la vénérable institution qu'est à Vienne la grande musique, ni le sexe et ses névroses.
A sa sortie, j’avais vu le film ; je l’avais trouvé dérangeant, dur, mais joué à la perfection.
Je ressors de cette lecture un peu groggy. En effet, tout est dense et implacable dans cet ouvrage. Voici un roman, composé de deux parties à peine identifiées, sans aucun chapitre, et dont le contenu de chaque partie est à peine aéré. La densité du texte rend le contenu encore plus lourd. Je ressens comme un essoufflement à la lecture, car on ne sait pas où s’arrêter, bien qu’il faille s’arrêter, tellement c’est difficile. Ce livre ne se lit pas d’une traite, il nécessite que l’on prenne son temps.
Bien que la trame de l’histoire ne se situe pas en huis clos, l’impression qui se dégage est celle d’un enfermement, un enferment psychologique des personnages, et notamment les deux protagonistes féminins.
Erika est professeur de piano au conservatoire de musique de Vienne. Elle a 36 ans, et vit (encore) chez sa mère….et dès les premières lignes, on imagine quel sera le psychisme de l’enfant, comme se plait à l’appeler sa mère. Cette mère qui est tyrannique, culpabilisante, infantilisante, abaissante, jalouse de sa fille, qui n’a jamais fait de place au père, et qui formera avec Erika un couple assez glauque.
Erika, en effet, partage avec sa mère le lit conjugale, et est installée dans une relation de dépendance à sa mère, qui lui rappelle constamment les sacrifices consentis pour elle, afin qu’elle se consacre à son art : la musique.
« Le métier d’Erika, la passion d’Erika ne font qu’un : c’est la musique, puissance céleste. »
« Souvent la mère est prise d’inquiétude, car tout possédant doit apprendre d’abord, et il l’apprend dans la douleur, que la confiance c’est bien, mais le contrôle c’est mieux. »
«Chez Erika, tout ce qui peut être fermé est fermé. »
Erika a reçu une éducation rigide, autoritaire, dénuée de toute image et repères masculins, l’homme ayant été diabolisé par la mère. Et, c’est là son drame. Il y a un fossé abyssal entre l’image policée, rigide, cassante, et lisse qu’elle donne lorsqu’elle enseigne « Madame le professeur », et celle dépravée, dévergondée, et névrosée lorsqu’elle sort du conservatoire pour aller dans les peepshow, et jouer les voyeuses dans les parcs un peu chauds de la ville de Vienne.
« Mais Erika ne veut pas passer à l’acte, elle veut simplement regarder. »
De cette absence de repère masculin, Erika sera incapable d’aimer, elle qui de par l’éducation maternelle est incapable de s’aimer. Sa relation aux hommes parait bien compromise.
« Erika ne sent rien et n’a jamais rien senti. Elle est aussi insensible que du carton goudronné sous la pluie. »
Alors quand un élève, plus jeune qu’elle s’en éprendra, la relation qu’ils entretiendront ne pourra qu’être esclavagiste, perverse et violente.
Bien que l’histoire soit nettement portée sur la sexualité é et ses déviances , et que l’auteur soit claire à ce sujet, la sémantique reste dans l’ordre de l’acceptable. L’auteur épargne à son lecteur, par un style impeccable, la vulgarité et ne dédaigne pas user ici ou là d’un humour assez caustique.
Ces deux femmes, pour des raisons qui finalement se rejoignent m’inspirent de la tristesse. Elles sont plus à plaindre qu’à blâmer, même la mère, dont on ne sait explicitement pas grand-chose sur son passé, mais que l’on n' imagine pas très épanouissant.
Elfriede Jelinek-éditions Jacqueline Chambon(1988)/Points-250 pages
Elfriede Jelinek est née en 1946 en Styrie. Organiste, compositeur, romancière, dramaturge et pamphlétaire, elle a obtenu le prix Nobel en 2004. On la considère comme l’héritière du grand Thomas Bernhardt. “L’Autriche signifie pour moi une provocation permanente. Finalement, cet amour-haine continuel est un humus fertile pour l’écriture.” Elfriede Jelinek, qui vit à Vienne dans une retraite farouche depuis son prix Nobel, est perpétuellement branchée sur le monde à travers Internet et toutes les formes des médias.
Challenge des Nobel n°6
Challenge 26 auteurs/26 livres: 7/26 [J]
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