samedi 30 novembre 2024

Madelaine avant l'aube

 

Inutile de cherchez à savoir où nous emmène Sandrine Collette, ni quand. Cette histoire a pour cadre un hameau reculé, habité de pauvres gens, très pauvres, rustiques, durs à la tâche car leur survie en dépend. Il fait si froid, et grand -faim dans ce bout de campagne au bout de nulle part. Dans les environs sévit le Maître, le seigneur des lieux, et aussi son fils qu’aucune femme ne doit croiser sous peine de passer une très, très sale quart d’heure.

Dans cet environnement aussi hostile qu’archaïque surgit Madelaine, la sauvageonne, la femme libre, l’effrontée, la courageuse, l’indomptable et indomptée, l’inadaptée à ce monde où chacun se doit de courber l’échine pour défendre son bout de gras, et sa couche de paille.

Inutile d’en dire plus, il est temps maintenant de plonger dans l’univers impitoyable de Sandrine Collette, de goûter (si ça n’est pas déjà fait avec ses autres romans) à son écriture si incisive, si précise. Les phrases claquent comme l’épée du fils du seigneur. Il n’y a pas de gras, rien de trop dans cette histoire cruelle, et d’une noirceur à peine croyable. Sandrine Collette dresse le portrait sans concessions d’une femme que rien n’arrête. Magistral !

Madelaine avant l’aube n’a pas eu le Goncourt ; elle l’aurait mérité, mais cette année il y avait du lourd dans le dernier carré. Néanmoins, Sandrine Collette ne perd pas au change, puis que les lycéens lui ont donné ce Goncourt si précieux car décerné par la jeunesse qui lit, qui a du courage et a très bon goût. Bravo les jeunes !!

L'avis de Cassiopée 

Madelaine avant l’aube de Sandrine Colette aux éditions JC Lattès (Août 2024, 260 pages)

 

Romancière française, elle partage son temps entre la région parisienne et son élevage de chevaux dans le Morvan.

Bac littéraire, Master en philosophie et doctorat en science politique. Thèse (1999) : « De la loterie nationale à la française des jeux (1933-1998) : contribution à une sociologie de l'état moderne. »

Chargée de cours à l'Université de Nanterre, consultante à mi-temps dans un bureau de conseil en ressources humaines; elle restaure des maisons en Champagne puis dans le Morvan.

Elle compose une fiction et adresse son manuscrit aux éditions Denoël. Il s’agit "Des nœuds d'acier", publié en 2013, premier roman rencontre qui un succès critique et public : 20 000 exemplaires vendus, et le "Grand Prix de littérature policière" ainsi que le "Prix littéraire des lycéens et apprentis de Bourgogne".

Second roman en 2014 "Un vent de cendres", ( chez Denoël, qui revisite le conte "La Belle et la Bête".

2015 : devenue l'un des grands noms du thriller français, une fois encore, elle montre son savoir-faire imparable dans "Six fourmis blanches".

"Il reste la poussière" obtient en 2016 le Prix Landerneau du polar.

En 2017 paraît "Les larmes noires sur la terre".

Son huitième roman, "Et toujours les forêts", une fiction post-apocalyptique, a été récompensé, en 2020, par le prix de La Closerie des Lilas, le prix Amerigo Vespucci 2020 et le grand prix RTL-Lire.

Elle reçoit en 2022 le prix Jean Giono et le prix Renaudot des lycéens pour son roman "On était des loups".

Son nouveau roman "Madelaine avant l’aube" sort en 2024 et reçoit le Goncourt des lycéens.

lundi 11 novembre 2024

Emma Picard

 

Les éditions du Tripode ont l’excellente idée de rééditer les romans de Mathieu Belezi. Après Attaquer la terre et le soleil, l’occasion m’est offerte de cheminer avec Emma Picard, initialement paru il y a presque dix ans sous un titre légèrement différent.

Mathieu Belezi, reste en Algérie, aux débuts de sa colonisation par les français. A cette époque, l’État offre de l’argent à qui voudra bien partir, souvent pour échapper à la misère, et tenter d’y construire une autre vie ; plus précisément en Algérie, il s’agit de partir de zéro, défricher une terre le plus souvent hostile, et se frotter à la population locale dont personne ne connait les us et coutumes.

Emma Picard est veuve, mère de quatre enfants, et sans le sou. A dire vrai, elle n’a pas vraiment le choix. L’offre est alléchante : une ferme, quelques hectares et ses maigres économies. Elle débarque en terre inconnue avec la foi du charbonnier, et l’obstination pour échapper à la misère, offrir à ses quatre fils une vie digne, et renouer avec la paix intérieure.

C’est cette vie qu’Emma raconte, ou plus pour être plus juste, scande à son dernier fils en vie Léon. Scander est le terme qui convient à cette écriture à la fois tranchante, d’une précision redoutable ne contenant pas un mot de trop et à ce style si particulier qui m’avait déjà interpellé dans ce que j’avais lu de l’auteur. La ponctuation est rare, tout comme les majuscules. Il y a comme une forme d’urgence dans ce texte qui met en lumière les forces et les failles d’une femme qui voudra y croire jusqu’au bout. Et ce ne sont pas ses erreurs d’appréciation, sa crédulité (parfois) qui entameront l’empathie pour elle. Emma est une victime consentante, mais victime avant tout d’un système, d’une terre hostile, de l’imprévisibilité des éléments et d’une histoire qui n’était pas la sienne mais à laquelle, bien malgré elle, elle a voulu prendre sa part.

Ce texte est d’une rare beauté, il demandait qu’on lui consacre du temps pour l’apprécier et s’en imprégner.

Merci à Babélio et les éditions du Tripode pour ce partenariat.

Emma Picard de Mathieu Belezi aux éditions du Tripode (Octobre 2024;première parution en 2015, 270 pages)