mardi 3 septembre 2024

Dire Babylone


Si j’étais née en fille condamnée, j’étais déterminée à brûler ce mythe, à être la barde qui rêvait de son propre salut. Je réécrirai l’histoire de ces femmes qui m’avaient précédée. (…)

Un jour, me suis-je promis. Je me laisserai sortir de cette cage, et je volerai.

On ne va pas se raconter d’histoires : les auteurs jamaïcains ne courent pas les rues ! Alors quand on en croise un, et d’autant plus une sur son chemin, aucune hésitation, on fonce.

Quel bonheur d’avoir eu l’occasion de lire ce premier roman ; un grand merci à l’éditeur pour sa confiance. Après ces quelques cinq cent pages, la culture rasta n’aura plus de secrets pour moi, enfin presque !

Loin des images de cartes postales, ce petit pays issu de l’empire britannique a connu dans les années 60, une sorte de révolution. Ces laissés pour compte, sans grades, sans fortune, originaires d’Afrique se sont inspirés de textes bibliques hébraïques, et de l’ancienne Babylone qu’ils considéraient comme pervertie pour constituer un mouvement assez restrictif en ce qui concernait le mode de vie, les meurs et la vie sociale.

Safiya Sinclair est issue de cette mouvance, et cette culture rasta. Son roman est l’histoire de son enfance ballotée entre la sévérité et la violence d’un père, la soumission d’une mère, et les désirs profond de cette fillette pour sortir de là, accéder à la l’éducation, et surtout la liberté.

A l’intérieur de notre foyer, un nouvel évangile, une nouvelle Eglise, une nouvelle secte Sinclair a vu le jour.

C’est la littérature, et en particulier la poésie qui permettra à Safiya, non sans mal, à s’extraire de son milieu, d’étudier et à s’émanciper.

Non sans mal, car les résistances sont nombreuses, il faut lutter contre le sentiment de culpabilité et d’imposture.

J’ai beaucoup aimé ce récit, joliment écrit (merci le traducteur), très instructif, et fort bien documenté tout en conservant au récit un aspect romanesque, et également musical. Le reggae que pratique assidument son père, pilier de la culture rasta est omni présent dans ce roman.

En Jamaïque, être musicien constituait à peu près le seul moyen pour un Rastaman d’avoir un emploi rémunéré.

 La musique n’était pas seulement une prière, mais aussi un moyen de se faire aimer.

L’auteure a campé ses personnages avec justesse et objectivité. Cette histoire de résilience et de pardon est lumineuse et poétique. Elle se lit avec un réel plaisir.

Un grand merci à l’éditeur pour sa confiance !

Dire Babylone de Safiya Sinclair, aux éditions Buchet-Chastel, traduit de l’américain par Johan-Frederik Hel Guedj (Août 2024, 528 pages).

Poétesse jamaïcaine, Safiya Sinclair est l'autrice d’un recueil intitulé Cannibal, couronné par de nombreux prix dont le Whiting Writer's Award.

Salué par la critique et les lecteurs, Dire Babylone a reçu le National Books Critics Circle Award et a été sélectionné dans les meilleurs livres de l’année par The New York Times, The Washington Post, Elle, Time Magazine et Barack Obama.

Safiya est actuellement professeure d'écriture créative à l'Arizona State University.

Elle vit à New York.

 

mardi 27 août 2024

La barque de Masao

 

Allez donc savoir pourquoi, alors que mon parcours avec Antoine Choplin n’est pas des plus réguliers, je lui reste fidèle ; tantôt il me prend la main tantôt il me laisse de côté. Antoine Choplin n’a pas son pareil pour nous raconter des histoires, sans vraiment d’histoire en réalité. C’est sa plume, assurément poétique, sans ornements inutiles ; c’est aussi une atmosphère, un lieu, plutôt resserré qu’il prend pour unique décor ; pas un huis-clos, mais pas loin non plus.

Cette fois, nous prendrons la direction du Japon, une toute petite île et son usine où travaille Masao, un homme bien seul. Un jour, sa fille vient le retrouver à la sortie. Cela fait longtemps qu’ils ne se sont pas vus.

Ce court récit prend place autour des retrouvailles entre un père et une fille. En alternant les points de vue, Antoine Choplin aborde la culpabilité d’un père qui cherche à rattraper ce qu’il pense ne pas avoir fait. Il va devoir prendre des décisions autour d’une barque qu’il a lui-même construite et à laquelle il tient particulièrement. L’art est aussi au cœur de ce récit ; Harumi l’architecte, veut convaincre son père laisser l’art entrer dans sa vie.

Le style d’Antoine Choplin est inimitable. Il s’empare à la fois des lieux pour en faire personnage, d’une situation banale pour le rendre unique, et de ses personnages auxquels on peut, ou pas s’attacher, mais qui ne laissent jamais indifférent.

Cette promenade japonaise ne m’a pas vraiment enflammée, mais ne ma pas déplu non plus ; c’est une forme d’entre deux qui a  assurément attisé ma curiosité, et m’a dépaysée.

La barque de Masao d’Antoine Choplin, aux éditions Buchet-Chastel (Août 2024,208 pages)