mardi 28 mars 2023

De pierre et d'os

 Alors la banquise se fend Uqsuralik se retrouve séparée de sa famille restée de l’autre côté. C’est le début pour elle d’une aventure qui s’apparente à un chemin initiatique dont le seul but est la survie dans un milieu hostile. Elle y rencontre ses semblables qui comme elle, luttent contre les éléments, contre les animaux, contre eux-mêmes afin d’avancer dans la vie et sur la banquise.

Bérengère Cournut embarque son lecteur sur les traces de Inuits, un peuple qui luttent pour garder ses traditions, son mode de vie au milieu du grand blanc, des animaux et surtout des esprits omniprésents et indispensables à leur survie.

Ce roman s’apparente à un conte, dans lequel la poésie et le surnaturel s’imbrique intimement au quotidien de ces hommes et femmes courageux dans leur milieu hostile que Bérengère Cournut prend soin de nous décrire avec soin et beaucoup d’affection pour la culture amérindienne.

J’ai pris beaucoup de plaisir à me perdre dans ce récit original où la réalité se confond aux légendes. J’ai aimé le regard tendre et respectueux que pose l’auteur sur ces peuples du nord et sur leur vaillant combat pour la différence.

De pierre et d’os de Berengère Cournut aux éditions du tripode (Août 2019, 256 pages) et en poche (Octobre 2020,256 pages) ; Prix du roman Fnac 2019.

Bérengère Cournut est correctrice dans la presse et l’édition et écrivaine née en 1979.

Un temps secrétaire du traducteur Pierre Leyris, dont elle accompagne les œuvres posthumes chez l’éditeur José Corti (Pour mémoire, 2002 ; La Chambre du traducteur, 2007), elle publie son premier roman, "L’Écorcobaliseur", en 2008.

Elle a publié trois livres aux éditions Attila et deux plaquettes de poésie à L’Oie de Cravan, où elle déploie un univers littéraire onirique empreint de fantaisie langagière.

Elle est également auteure de "Palabres" (Attila, 2011), publié sous le pseudonyme Urbano Moacir Espedite en collaboration avec Nicolas Tainturier (ils apparaissent en page de couverture comme "traducteurs du portugnol").

Enfin, elle publie en 2016 un roman intitulé "Née contente à Oraibi" (Éditions Le Tripode) inspiré d'un voyage qu'elle a fait sur les plateaux de l'Arizona, à la rencontre de la tribu amérindienne des Hopis.


mercredi 22 mars 2023

Des orties et des hommes

 On les appelait les ritals, les macaronis ou les Panzani, car ils venaient d’Italie pour trouver en France de quoi travailler pour manger et élever leurs enfants. Travailleurs, discrets, ils faisaient tout leur possible pour se ne pas se faire remarquer sans oublier pour autant leurs racines et leur mode de vie.

Nous sommes dans les années 70, en Charentes. Nous suivons Pia, issue d’une famille italienne d’agriculteurs, travailleurs acharnés, faisant leur maximum pour donner la meilleure éducation à leurs 5 enfants. C’est sous le regard observateur de Pia que Paola Pigani nous raconte le quotidien difficile de cette famille, et plus largement le destin des agriculteurs/éleveurs de cette époque alors que le monde paysan est en pleine mutation technologique, politique, et climatique. Une sècheresse sévère oblige chacun à se remettre en question, et bouleverse le quotidien de ces travailleurs de la terre de plus en plus vulnérables.

Pia est une fine observatrice de ce monde en pleine transformation ; elle aide beaucoup à la ferme, et comprend vite que son salut viendra d’ailleurs : l’école où elle s’applique, et où elle comprend qu’elle n’est pas tout à fait du même monde que ses camarades.

Il y a beaucoup de nostalgie dans ce roman largement inspiré de sa propre enfance ; nostalgie d’un temps révolu, nostalgie d’un monde paysan qui disparait, la nostalgie des grands espaces et d’une certaine liberté.

Il y a quelque chose d’infiniment touchant dans ce roman où la difficulté de l’exil et la dureté de la vie sont enrobées de poésie, de subtilité, et d’humour.

Des orties et des hommes de Paola Pigani, aux éditions Liana Levi (Mar 2019,30 pages) et en format poche (Juin 2020,320 pages)

Paola Pigani est poétesse, nouvelliste et romancière née en 1963.

Elle est née dans une famille d’immigrés italiens installés en Charente. Son enfance au milieu d'une famille nombreuse et l'apprentissage du silence, de la contemplation et de la lecture avec une aïeule d'origine slovène, la préparent à la découverte de l'écriture poétique. Pendant ses huit années de pensionnat, elle lit, à la lueur d'une lampe de poche, Cocteau, Rimbaud, Kafka, Rilke, Le Clezio, Pavese...

Des lieux de son enfance, de ses voyages en Italie, dans les pays de l'Est, au Canada et des villes de France où elle a habité, elle a gardé en tête un vivier d'images qui viennent s'insinuer dans son écriture à des moments inattendus.

Tout d’abord poète et nouvelliste, Paola Pigani remporte le prix Prométhée de la Nouvelle en 2006 avec son recueil "Concertina" publié aux Éditions du Rocher (préface de Marie Rouanet).

En poésie, elle publie "Le ciel à rebours" (1999) aux Presses Littéraires. En 2009, elle participe au recueil collectif "Des stèles aux étoiles" autour de l’œuvre du peintre Winfried Veit.

En 2013, son premier roman "N’entre pas dans mon âme avec tes chaussures" est publié aux Éditions Liana Lévi. Il reçoit de nombreux prix dont le Coup de cœur de l’association Lettres frontière 2014.

En 2014, paraît un nouveau recueil de poésie "Indovina". En 2015, elle signe "Venus d’ailleurs", roman pour lequel elle participe aux journées scolaires 2018 du Festival Étonnants Voyageurs.

En 2015, avec Bettina Stepczynski, en collaboration avec le Salon du Livre de Genève, elle a écrit l’ouvrage "(Se) correspondre - Tandem Rhône-Alpes / Suisse romande".

En 2019, elle écrit un roman, "Des orties et des hommes", dans lequel elle raconte avec poésie et délicatesse son enfance dans le petit village où elle a grandi.

Éducatrice, elle vit depuis de nombreuses années à Lyon.

 

mardi 21 mars 2023

Les sources

Mes livres coup de cœur sont rares, de plus en plus rares. Je ne me souviens pas d’un livre coup de cœur qui marque au point qu’il me soit impératif de le relire…Marie-Hélène l’a fait ! Depuis longtemps, ses ouvrages sont teintés de son expérience personnelle, et de son enfance sur les bords de la Saintoire, dans son Cantal natal. Celui-là est sans aucun doute le plus personnel, le plus intime. Il m’a littéralement bouleversée de part ce qu’il dégage de force, de pudeur, de violence larvée et de concision.

Demain, chez ses parents, elle fera semblant. (…) elle a fait sa vie comme ça ; elle va avoir trente ans et sa vie est un saccage, elle le sait, elle est coincée, vissée, avec les trois enfants, il les regarde à peine, mais il est leur père, il est son mari et il a des droits. (…) Elle doit tenir son rang.

Ce roman est construit en trois actes, à des dates bien précises chaque temps avec un point de vue différent. Chaque date est symbolique.

En premier lieu, en cette date de résolution de la guerre des six jours, qui sonne pour la mère comme la fin de son mariage. Mariée et mère de 3 enfants, en ce week-end comme les autres de visite à la famille, c’est décidé, elle ne reviendra pas ; elle se souvient de ses 8 années de mariages, de la violence, des coups et des bleus qu’elle cache, de ce corps ravagé par les grossesses qui la complexe, de cette vie faite de travail, de rituels, d’humiliations, de silences et de sacrifices où il faut tenir son rang, comme on le lui a appris.

Le dimanche matin, quand ils descendent, elle rumine sa vie, les sept dernières années, depuis le mariage. Elle est comme une vache lourde, une vieille vache fatiguée, une vache fourbue ; elle rumine et elle attend.

Elle ne reviendra pas, les enfants non plus !

En second lieu, en 1974, alors qu’un président réformiste pour les femmes vient d’être élu, c’est le père qui se souvient. Sa femme l’a quitté, il ne comprend pas bien ce qui lui est arrivé. Il pensait qu’elle reviendrait, qu’il la tiendrait avec l’argent…Il est seul dans la ferme dont il a racheté sa part à elle, et qu’il doit exploiter pour payer les traites. Les filles sont parties en ville pour étudier et ne reviennent que 2 semaines pour les vacances. Il regrette son premier amour, du temps où il faisait son armée au Maroc. Il aurait pu rester ; seulement voilà, il ne voulait pas obéir, ni risquer d’être envoyé en Algérie. Il est rentré, a épousé la mère des enfants…

Enfin, en ce jour de 2021, Claire, la seconde fille, revient aux sources pour rendre les clefs. La maison a été vendue. Le père est mort.

C’est connu, Marie-Hélène Lafon va droit au but, ne s’engage pas dans les longueurs ; c’est encore plus vrai ici : son écriture est encore plus resserrée ; Il n’y a rien de trop, chaque mot est pesé, choisi ; chaque phrase se fait précise .Le superflu n’a pas sa place . Pas de scènes de voyeurisme pour parler de la violence conjugale, mais elle plane tout au long de la première partie. Pas de longs discours sur l’émancipation des femmes au tournant des années 70 ; la mère un jour dit stop ! et s’y tient, résiste, va au bout de sa décision.

Enfin, et c’est un thème récurent chez l’auteur, la ruralité et surtout son Cantal natal sont omniprésents. On sent aussi un virage important dans ces métiers de la terre et ses difficultés croissantes.

Marie-Hélène Lafon signe ici un roman âpre, aussi bref que puissant, et prouve encore une fois son immense talent !

Les sources de Marie-Hélène Lafon, aux éditions Buchet-Chastel (Janvier 2023, 120 pages)

Marie-Hélène Lafon est une professeure agrégée et écrivaine française née en 1962.

Née dans une famille de paysans, elle est élève à l'Institution Saint-Joseph (collège) puis à La Présentation Notre-Dame (lycée) deux pensionnats religieux de Saint-Flour.

Elle part ensuite étudier à Paris, à la Sorbonne, où elle obtient une maîtrise de latin et le CAPES de lettres modernes. Elle obtient également un Diplôme d'études approfondies (DEA) à l'Université Paris III-Sorbonne Nouvelle puis un doctorat de littérature à l'Université Paris VII-Denis Diderot.

Elle devient agrégée de grammaire en 1987. Elle enseigne le français, le latin et le grec dans le collège Saint-Exupéry, Paris 14e, en banlieue parisienne, dans un collège situé en Zone d’Éducation Prioritaire, puis à Paris, où elle vit.

Elle commence à écrire en 1996, à 34 ans. Son premier roman "Le soir du chien" (2001) est récompensé par le prix Renaudot des lycéens en 2001.

Elle avait précédemment écrit des nouvelles - pour lesquelles elle ne trouvait pas d'éditeur - dont "Liturgie", "Alphonse et Jeanne", qui seront publiées l'année suivante dans le recueil "Liturgie" (2002), récompensé par le prix Renaissance de la Nouvelle en 2003.

Elle préside le prix littéraire des lycéens de Compiègne en 2003-2004.

Lauréate de nombreux prix, Marie-Hélène Lafon obtient le Prix du Style 2012 pour "Les Pays" et le Prix Goncourt de la nouvelle en 2016 pour "Histoires". Elle reçoit le Prix Renaudot 2020, pour son roman "Histoire du fils".Nos vies, en 2017 ;Joseph en 2014 ;

Célibataire et sans enfant, son département d'origine, le Cantal, et sa rivière, la Saintoire, sont le décor de la majorité de ses romans.