dimanche 29 septembre 2024

Où vivaient les gens heureux

 

J’apprécie Joyce Maynard ; autant pour sa plume, son univers que sa personnalité pleine de fougue.

Son œuvre est essentiellement tournée vers la famille ; elle s’est autorisée quelques écarts avec notamment un recueil plus personnel relatant sa relation toxique et intense avec JD Salinger.

Ici, nous suivrons tout au long de ces cinq cent pages Eleanor, pilier de la famille, de son adolescence au mariage de son fil ainé.

Après quelques chapitres nous montrant Eleanor arrivant dans la ferme qui a vu grandir ses enfants, Joyce Maynard opère un profond retour en arrière, puissant aux origines de la vie d’Eleanor, et du drame fondateur de sa vie.

Eleanor, est dessinatrice de bande dessinée, d’ouvrages pour enfants. Elle se marie assez vite avec Cam, sculpteur sur bois, pas vraiment le genre d’homme sur qui Eleanor pourrait se reposer. C’est elle qui fait bouillir la marmite, qui jongle cahin-caha avec les aléas de sa vie d’auteur. Trois enfants viennent combler le couple. C’est elle qui tient la famille, fait face à tout. Dans la joie comme dans les peines, elle ne lâche rien, prend sur elle. Sa vie est un combat, une lutte de tous les instants, pour que sa famille ait tout ce qu’il faut, se sente aimé, choyé, compris. Sa maisonnée est sa priorité. Son accomplissement passe par le bien-être des siens, quitte à s’oublier souvent….

Joyce Maynard nous offre ici un très beau portrait de femme, sans omettre ses autres personnages qu’elle dissèque avec minutie. Son écriture est riche tout en paraissant simple. Le style est fluide ; la lire est un réel bonheur. La suite de cet opus vient de paraître aux USA, j’espère ardemment que son éditeur français ne tardera pas à nous en proposer la traduction.

Où vivaient les gens heureux de Joyce Maynard, traduit de l’américain par Florence Levy-Paoloni, aux éditions Philippe Rey (Août 2021, 560 pages) et 10/18 (Aout 2022, 600 pages)


 

mardi 3 septembre 2024

Dire Babylone


Si j’étais née en fille condamnée, j’étais déterminée à brûler ce mythe, à être la barde qui rêvait de son propre salut. Je réécrirai l’histoire de ces femmes qui m’avaient précédée. (…)

Un jour, me suis-je promis. Je me laisserai sortir de cette cage, et je volerai.

On ne va pas se raconter d’histoires : les auteurs jamaïcains ne courent pas les rues ! Alors quand on en croise un, et d’autant plus une sur son chemin, aucune hésitation, on fonce.

Quel bonheur d’avoir eu l’occasion de lire ce premier roman ; un grand merci à l’éditeur pour sa confiance. Après ces quelques cinq cent pages, la culture rasta n’aura plus de secrets pour moi, enfin presque !

Loin des images de cartes postales, ce petit pays issu de l’empire britannique a connu dans les années 60, une sorte de révolution. Ces laissés pour compte, sans grades, sans fortune, originaires d’Afrique se sont inspirés de textes bibliques hébraïques, et de l’ancienne Babylone qu’ils considéraient comme pervertie pour constituer un mouvement assez restrictif en ce qui concernait le mode de vie, les meurs et la vie sociale.

Safiya Sinclair est issue de cette mouvance, et cette culture rasta. Son roman est l’histoire de son enfance ballotée entre la sévérité et la violence d’un père, la soumission d’une mère, et les désirs profond de cette fillette pour sortir de là, accéder à la l’éducation, et surtout la liberté.

A l’intérieur de notre foyer, un nouvel évangile, une nouvelle Eglise, une nouvelle secte Sinclair a vu le jour.

C’est la littérature, et en particulier la poésie qui permettra à Safiya, non sans mal, à s’extraire de son milieu, d’étudier et à s’émanciper.

Non sans mal, car les résistances sont nombreuses, il faut lutter contre le sentiment de culpabilité et d’imposture.

J’ai beaucoup aimé ce récit, joliment écrit (merci le traducteur), très instructif, et fort bien documenté tout en conservant au récit un aspect romanesque, et également musical. Le reggae que pratique assidument son père, pilier de la culture rasta est omni présent dans ce roman.

En Jamaïque, être musicien constituait à peu près le seul moyen pour un Rastaman d’avoir un emploi rémunéré.

 La musique n’était pas seulement une prière, mais aussi un moyen de se faire aimer.

L’auteure a campé ses personnages avec justesse et objectivité. Cette histoire de résilience et de pardon est lumineuse et poétique. Elle se lit avec un réel plaisir.

Un grand merci à l’éditeur pour sa confiance !

Dire Babylone de Safiya Sinclair, aux éditions Buchet-Chastel, traduit de l’américain par Johan-Frederik Hel Guedj (Août 2024, 528 pages).

Poétesse jamaïcaine, Safiya Sinclair est l'autrice d’un recueil intitulé Cannibal, couronné par de nombreux prix dont le Whiting Writer's Award.

Salué par la critique et les lecteurs, Dire Babylone a reçu le National Books Critics Circle Award et a été sélectionné dans les meilleurs livres de l’année par The New York Times, The Washington Post, Elle, Time Magazine et Barack Obama.

Safiya est actuellement professeure d'écriture créative à l'Arizona State University.

Elle vit à New York.