« Temple ne vit pas, n'entendit pas s'ouvrir la porte de sa chambre. Au bout d'un instant, elle tourna par hasard les yeux de ce côté et y aperçut Popeye, son chapeau sur le coin de la figure. Sans bruit, il entra, ferma la porte, poussa le verrou, se dirigea vers elle. Tout doucement, elle se renfonça dans le lit, remontant jusqu'au menton les couvertures, et resta ainsi, anxieusement attentive aux gestes de Popeye. Il s'approcha, la regarda. Elle sentit son corps se contracter insensiblement, se dérober dans un isolement aussi absolu que si elle eût été attachée sur le clocher d'une église. Elle sourit à Popeye d'un pauvre sourire humble et gauche, découvrant l'émail de ses dents. »
Il m’aura fallu une lecture commune, une vraie (celle que l’on choisi ensemble, sans se cacher, que l’on lit en même temps à son rythme, et pour laquelle on accepte d’échanger en temps direct ses impressions, ses doutes, ses incompréhensions pour mieux progresser et aborder une lecture délicate), pour qu’enfin j’ose aborder Faulkner .
Seule dans mon coin, j’aurais probablement abandonné ce livre sans l’intelligence d’autres lecteurs qui n’ont pas peur, eux ,d’être influencés……
Cela faisait longtemps que je voulais régler un « petit compte » comprenne qui voudra…..
Faulkner, c’est de la littérature de haute volée, une littérature qui vous prend à la gorge. Ce n’est pas une petite lecture facile, ou comme disent certains, « une lecture détente ».
Faulkner a bien un style, une patte. Il a une manière bien à lui d’emmener son lecteur dans les recoins de l’âme humaine. Il a l’art de vous illuminer tout d’un coup sur une chose, et tout aussi vite de vous replonger dans le brouillard. Il suggère plus qu’il ne révèle. Il sait attendre avant de préciser les choses, laissant le lecteur de longs moments à ses doutes et questions.
Faulkner ne nomme pas franchement les choses, ni les personnages ; souvent il multiplie les appellations….glisse des évènements anodins…
La narration chez Faulkner est précise, et fourmille de détails .Les dialogues sont parfaitement adaptés aux personnages et aux situations.
Le roman pose d’emblée l’ambiance générale. « Quelque part, caché, mystérieux, et pourtant tout proche, un oiseau lança trois notes, puis se tut. » Les trois coups avant la pièce de théâtre.
On y boit beaucoup, l’alcoolisme fait partie du décor.
André Malraux, dans sa préface prévient : « Sanctuaire est donc un roman d’atmosphère policière sans policiers, de gangs aux gangsters crasseux, parfois lâches, sans puissance. »
Il ne faudra donc pas chercher dans ce roman de folles embardées, des rebondissements fracassants. Le rythme n’est pourtant pas lent ni ennuyeux, c’est seulement qu’il est construit à la manière d’un roman noir, avec comme toile de fond toute son époque, tout un contexte social et sociétal.
Il faut simplement accepter de se laisser aller, de se laisser perdre, de ne pas comprendre ou savoir pendant un moment, pour mieux se retrouver ensuite. Une lecture fine et attentive s’impose. Chaque mot, chaque ligne a son importance. Moi qui ne relis pas mes livres, me suis surprise à en relire des pans entiers et à découvrir des choses qui m’avaient échappées.
Que vous dire de l’intrigue, si ce n’est qu’en dire si ce n’est un peu, c’est déjà trop en dire.
Les personnages sont mystérieux, glauques, patibulaires, franchement antipathiques pour certains : Tommy, Popeye (drôle de nom, tout de même…..) Godwin…
Seul Horace Benbow montre un visage « humain » ; c’est l’avocat, qui cherche à faire la lumière sur l’affaire, et qui croit encore à la justice. « Je ne puis rester les bras croisés quand je vois l’injustice… », Répond-il à sa sœur, petite bourgeoise.
Et puis Temple Drake, fille de juge, étudiante qui se laisse embarquer par Gowan complètement ivre, et qui va échouer dans la pire bicoque qui soit….et ce sera descente aux enfers. Temple/Sanctuaire……faut-il y voir un lien. ?
Elle reste un mystère pour moi, cette fille….pourquoi en arrive-t-elle là ? Pourquoi ne se sauve t-elle pas ? Qu4est-ce qui la retient dans ce bordel tenu par Miss Reba alors qu’elle fricote avec Red ? Pourquoi protège t-elle son bourreau ?
Elle a d'emblée des comportements, et des attitudes quelques peu équivoques qui laissent penser au lecteur que les choses n’en resteront pas là…. « Sans cesser de courir, elle eut l’air de s’arrêter. Le pan de son manteau qui battait derrière elle n’eut pas le temps de la rattraper ; toutefois, pendant une fraction de seconde, elle regarda Popeye en face avec un sourire aguichant et crispé qui découvrit ses dents. »
Faulkner sème ici où la des idées, des détails qui semblent insignifiants, mais que l’on retrouve parfois longtemps après pour éclairer ou pour insister….Ce sont ces élément-là qui me font affirmer que ce livre nécessite une lecture fine et attentive.
Ce livre est un coup de cœur, non pas pour le scénario en lui-même, mais pour l’immense qualité littéraire, le style, et ce qu’il me laisse à l’esprit .Je relirai Faulkner, c’est certain.
William Faulkner-Gallimard/Folio- 375 pages
William Faulkner naît en 1897, à New Albany dans le Mississippi, dans une vieille famille aristocratique ruinée par la guerre de Sécession. Son père, Murry Cuthbert Faulkner, est un raté doublé d'un ivrogne dominé par sa femme, Maud. Enfant taciturne et étrange, le jeune William se distingue par ses goûts littéraires et artistiques. Il s'engage dans l'aviation canadienne après avoir été délaissé par Estelle, dont il était amoureux, mais l'Armistice met fin à la guerre avant qu'il ait appris à piloter. Il rentre cependant chez lui auréolé de la gloire du soldat et se vantant d'exploits inventés de toutes pièces. Il commence à écrire tout en exerçant différents métiers, sans grande conviction. Marqué par la forte personnalité de sa mère et son échec sentimental, William Faulkner mêle puritanisme et sensualité comme en témoigne le titre de son premier recueil de poèmes, Le Faune de marbre, en 1924. Il séjourne à Paris, à New York, à La Nouvelle-Orléans et, à son retour, épouse Estelle, qui a divorcé, et s'installe à Oxford. Il y mène une vie de romancier dont les livres ne se vendent guère malgré l'estime de la critique. Quelques-uns de ses plus grands romans paraissent alors : Sanctuaire, Tandis que j'agonise, Lumière d'août, Sartoris, Le Bruit et la fureur... Ils dressent une topographie de l'univers romanesque de l'écrivain : le comté de Yoknapatawpha et la ville de Jefferson dans le Sud après la guerre de Sécession. Faulkner publie également des recueils de nouvelles, comme Treize histoires, premières œuvres traduites en français dans les années 1930. Il part travailler comme scénariste à Hollywood où il rencontre Meta Carpenter qui devient sa maîtresse. Son sens du devoir lui intime de la quitter et cette rupture lui inspire son dernier chef d'œuvre, Les Palmiers sauvages. Il commence enfin à pouvoir vivre de sa plume et obtient le prix Nobel de littérature en 1949. Malheureusement son inspiration se tarit. L'alcool finit par avoir raison de lui, le 16 juillet 1962, au moment où paraît son dernier roman, Les Larrons.
L'univers de Faulkner est un univers pessimiste, dont la déchéance, le péché, l'expiation par la souffrance forment la trame dramatique, et son œuvre compte parmi les plus importantes de la littérature américaine.
Lu dans le cadre du Challenge des Nobel , Nobel 10 Challenge atteint
Challenge ABC/Babélio: 23/26 [ F]
Challenge 26 livres/26 auteurs: 17/26 [F]
bravo Mimi !
RépondreSupprimerbonne soirée, bon prochain livre,
bises
Je n'ai pas lu celui-là, mais j'aime bien Faulkner. Prochaines découvertes à venir: probablement Lumière d'août et Le bruit et la fureur qui me tenten bien!
RépondreSupprimerJ'aime beaucoup ta critique. J'ai lu Sanctuaire pour un cours d'anglais. ce fut une grosse claque, je ne sais toujours pas si j'ai aimé ou pas mais je ne suis contente de l'avoir lu.
RépondreSupprimerJe n'ai rien lu pour l'instant de cet auteur mais dernièrement j'ai envie de le découvrir et je me suis donc fait offrir par ma mère l'année dernière, "Le bruit et la fureur", mais je n'ai pas encore pris le temps de l'ouvrir et de le lire. Ton article "Coup de coeur" pour "Sanctuaire" me donne très envie de faire connaissance avec cet écrivain.
RépondreSupprimerJ'ai justement acheté ce livre il y a quelques jours, quand tu parles du style de Faulkner (quel auteur !), j'ai retrouvé la même patte chez F.S FITZGERALD (grand buveur également) !
RépondreSupprimerJe viens de publier un billet. Maintenant j'ai envie de lire Sanctuaire grâce à toi ;-)
Merci
RépondreSupprimerSavoir que je donne envie de le lire me fait énormément plaisir
J'aimerais beaucoup le lire prochainement !
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