dimanche 2 octobre 2011

A l'enfant que je n'aurai pas


L'essai d'Élisabeth Badinter intitulé Le Conflit soulignait, l'an passé, la dureté de l'injonction faite aux femmes par l'obligation non seulement d'être mères, mais de l'être absolument, dans un fantasme de perfection typique d'une société ou la sphère privée est devenue un spectacle permanent. En écrivant à l'enfant qu'elle a choisi de ne jamais concevoir, Linda Lê s'affranchit du monde en général pour poser un regard strictement personnel sur sa volonté de ne pas devenir mère. Ce travail autobiographique lui permet d'éclairer les premiers jalons qui, dans l'enfance, préparent l'expression de sa liberté d'adulte. La figure étouffante de la mère et une adolescence passée dans un monde exclusivement féminin contribuent à forger un désir de soi, aussi évident que douloureux à porter dans le regard de l'autre, et plus particulièrement de cet homme, S. Car l'homme qu'elle aime veut avoir des enfants. Chaque jour il tente de lui montrer que son refus se fonde sur l'erreur : erreur d'analyse, trop intellectuelle ; erreur ontologique d'un égocentrisme qui aurait mal tourné ; erreur personnelle, d'une peur jamais confrontée, etc. La narratrice, elle, en lieu et place d'idées toutes faites, voit défiler de simples images, précises et palpables : celle d'un enfant qu'elle ne saurait pas aimer, quelle que soit son identité, et celle d'un écrivain qui perdrait forcément la sienne à l'éduquer. « On ne part pas à la conquête du Graal avec une poussette », écrivait Karen Blixen. Et là ou l'expression de la liberté devient intolérable aux yeux des notaires de ce monde exigeant une conversion systématique au modèle de la famille, la narratrice écarte toute forme de dureté, toute prétention à une règle édifiée à d'autres qu'elle-même. Bien au contraire, c'est toute la douceur de son amour qu'elle offre à cet enfant qui n'existera jamais, mais vit sans cesse, à chaque seconde, dans l'imaginaire lumineux de sa conceptrice.
Je remercie les éditions Nil pour la découverte de ce livre et de cet auteur.

Une lettre que l’on lit comme une confidence prononcée tout bas, de peur de bousculer la pensée unique.
Une lettre que l’on lit d’une traite…mais  pas d’un seul souffle.
Une lettre pour toutes celles qui un jour ont entendu toutes sortes de propos sur leur non désir de maternité, pour toutes celles qui un jour se sont senties rabaissées, insultée, humiliée par des clichés d’un autre âge, pour celles qui ont fait un autre choix, et qui n’en sont pas moins  femmes.
« A mesure que je mène à terme cette lettre, dont tu n’es pas l’unique destinataire, car je m’adresse aussi à toutes celles qui se sont dispensées de se conformer aux lois de la nature, je me  déleste d’un poids. »

Dans un long monologue, Linda Lê s’adresse à l’enfant immatériel, celui qu’elle n’a pas eu, celui dont elle n’a pas voulu, avec une infinie sincérité, et une vérité que seul le papier autorise.
Combien d’idées reçues sur le prétendu égoïsmes de ces femmes sont encore d’actualité ? Et pourtant, derrière un refus de maternité se cachent bien souvent des souffrances enfantines indicibles, des manques affectifs flagrants. Certaines réussissent à transcender cela, d’autres ont peur, ou savent d’instinct, qu’elles reproduiront le schéma personnel.
« Déjà, à l’époque, je me jurais de ne jamais être mère, pour ne pas donner à mes enfants l’éducation que j’avais reçue. »

A une époque où, la maternité est encore, très majoritairement, considérée comme l’expression obligatoire de la féminité, Linda Lê a le courage de faire entendre une autre voix. Elle le fait, et le dit avec une simplicité  qui insiste au respect et à l’humilité. A chacun sa vérité, à chacune son chemin.

Linda Lê soulève la difficulté au sein d’un couple d’assumer lorsque les désirs en en ce domaine sont antinomiques, et paraissent inconciliables.
Ce texte aurait pu être revendicatif, aurait pu être un réquisitoire féministe….il n’en est rien. Il est plein de tendresse, et d’amour pour cet enfant qui n’est jamais venu, mais qui paradoxalement a une réalité.

« Ces lignes sont une offrande, tu vogues sur un esquif en papier, mais pour moi tu n’es pas une fantasmagorie, tu existes, tu es doué de vie »

Linda Lê-Nil-éditions( Août 2011)-66 pages

Le prix Wepler, décerné l'an dernier à Cronos, a sans doute contribué à mieux faire connaître Linda Lê, l'un de nos plus grands écrivains vivants, que sa discrétion a conduite à bâtir une œuvre monumentale loin des médias. Originaire de Dalat, au Vietnam, Linda Lê éprouve depuis toujours un amour infini pour la langue française et la littérature. Dès Les Évangiles du crime (1992), l'originalité de son style se déploie pour associer une sorte de lucidité immédiate, une vérité rigoureuse et une élégance verbale qui n'appartiennent qu'à elle. Dans chaque roman de Linda Lê se met en scène un combat, personnel...

Le 1% littéraire organisé par Hérisson 10/14 ( pour le 2 %)   

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