samedi 15 octobre 2011

Rien ne s'oppose à la nuit


Ma famille incarne ce que la joie a de plus bruyant, de plus spectaculaire, l’écho inlassable des morts, et le retentissement du désastre. Aujourd’hui je sais aussi qu’elle illustre, comme tant d’autres familles, le pouvoir de destruction du Verbe, et celui du silence.
« J’écris ce livre parce que j’ai la force de m’arrêter sur ce qui me traverse et parfois m’envahit, parce que je veux savoir ce que je transmets, parce que je veux cesser d’avoir peur qu’il nous arrive quelque chose comme si nous vivions sous l’emprise d’une malédiction, pouvoir profiter de ma chance, de mon énergie, de ma joie, sans penser que quelque chose de terrible va nous anéantir et que la douleur, toujours, nous attendra ans l’ombre. »

Écrire pour se «  laver », se débarrasser de ce qui vous ronge ; écrire pour tenter de  comprendre à défaut de pouvoir expliquer vraiment ; écrire pour de délester, écrire pour se libérer, écrire pour avancer, écrire pour tenir debout ; écrire pour vivre, tout simplement.

« L’écriture ne peut rien. Tout au plus permet-elle de poser les questions et d’interroger la mémoire. »

Rien ne s’oppose à la nuit est-il une fiction, comme le défend son auteur, ou une biographie ? Sans doute un peu des deux ; mais mieux que cela, c’est un vibrant portrait de femme marquée très jeune  par les drames familiaux et les dessous d’une vie de famille longtemps tus qui la conduiront à sa destruction. Quel contraste entre cette photo de femme magnifique de l’extérieur et si tourmentée au-dedans ?

Delphine de Vigan se livre à un exercice difficile, et réussi, consistant à parler du malheur sans sombrer dans le pathos ni dans l’apitoiement. Elle a su rester vraie, nature ; elle s’est livrée à son lecteur sans voyeurisme inutile et sans déballage excessif. Elle a su dire, tout en restant pudique, et surtout en restant humble.



Tout en revenant sur ce qu’a été la vie de Lucile, et son héritage familiale, Delphine de Vigan livre sa propre quête à propos de sa mère, chemine avec le lecteur sur la genèse de ce livre, rend compte de son travail de recherche auprès de sa famille, de ce qui a constitué de ses difficultés d’écriture, de ses interrogations sur le bien-fondé d’un tel livre.

Trois parties constituent la matrice de ce roman ; trois parties correspondant aux 3 étapes clés de la vie de Lucile : enfant et son environnement familial, jeune femme et jeune mère, et ses dernières années.

Curieusement Delphine de Vigan ne parle de sa mère qu’avec son prénom ; très rarement elle parlera de « ma mère » ou encore moins de « maman ». Ce n’est qu’une fois dans le seconde partie de son livre que l’auteur s’autorisera le « je »,  et se positionnera dans cette famille.

C’est certainement par cette distanciation par rapport à sa mère, aussi bien dans le rédactionnel que dans le propre ressenti de l’auteur par rapport à sa mère, que l’on peut qualifier cet ouvrage de roman.

« J’écris Lucile avec mes yeux d’enfant grandie trop vite, j’écris ce mystère qu’elle a toujours été pour moi, à la fois si présente et si lointaine, elle qui, lorsque j’ai eu dix ans, ne m’a plus jamais prise dans ses bras. »

J’ai immédiatement été absorbée par cette lecture. Il m’a été difficile de lâcher, mais paradoxalement, j’avais en même temps besoin de laisser décanter un peu entre chaque partie. Aussi grave que puisse être le sujet, j’ai trouvé ce livre lumineux, amusant parfois ; mais assurément marquant, durablement marquant.

Je remercie infiniment Priceminister, qui avec l’opération les matchs de la rentrée littéraire, m’a permis de lire cet ouvrage, parrainée par Sharon.

Delphine de Vigan- JC Lattès-438 pages
Delphine de Vigan est notamment l’auteur du best-seller No et moi, plus de 400 000 exemplaires vendus toutes éditions Prix des Libraires 2008, adapté au cinéma par Zabou Breitman, et des Heures souterraines (2009), près de 100 000 exemplaires vendus en édition première et traduit dans le monde entier. Elle faisait partie de la dernière sélection du Goncourt. Elle vit à Paris.

13ème lecture dans le cadre du challenge le 1% littéraire organisé par Hérisson  .

Seconde lecture dans le cadre du challenge organisé par Calypso autour du mot nuit  

 Challenge ABC Critiques Babélio 12/26 [V] 




5 commentaires:

  1. En voilà un qui me fait très envie. Et ton billet est vraiment beau ! Merci :)

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  2. Normalement, je dois le recevoir, ça sent le coup de coeur pour moi aussi ! J'espère ne pas être déçue.
    Merci (bis) !

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  3. Ce livre semble t'avoir marqué. Tu en parles très bien, mais je n'ai toujours pas envie de le lire

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  4. Ce livre est un coup de cœur pour moi.
    Comme tu le notes, ce livre sera durablement marquant.

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  5. Un bel article pour un beau livre ! Ca nous fait vibrer, c'est ça !

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