samedi 2 juillet 2011

Le portail

François Bizot, membre de l'École française d'Extrême-Orient, est fait prisonnier au Cambodge par les Khmers rouges, en 1971. Enchaîné, il passe trois mois dans un camp de maquisards. Chaque jour, il est interrogé par l'un des plus grands bourreaux du XXe siècle, futur responsable de plusieurs dizaines de milliers de morts, aujourd'hui jugé pour crimes contre l'humanité : Douch.
Au moment de la chute de Phnom Penh, en 1975, François Bizot est désigné par les Khmers rouges comme l'interprète du Comité de sécurité militaire de la ville chargé des étrangers auprès des autorités françaises. Il est le témoin privilégié d'une des grandes tragédies dont certains intellectuels français ont été les complices.
Pour la première fois, François Bizot raconte sa détention, décrit une révolution méconnue, démonte les mécanismes de l'épouvante et fait tomber le masque du bourreau monstre.
Grâce à une écriture splendide et à un retour tragique sur son passé, l'auteur nous fait pénétrer au cœur du pays khmer, tout en nous dévoilant les terribles contradictions qui – dans les forêts du Cambodge comme ailleurs – habitent l'homme depuis toujours.
« Alors j’ouvrais les yeux dans le noir et  sortais m’immerger dans cette parcelle moite d’univers que le destin nous avait attribuée : le périmètre de l’ambassade, enveloppé de ténèbres. »

A lire la 4ème de couverture je m’attendais à un récit choc…C’est le contraire, j’ai lu un texte d’une exquise courtoisie. Mais, ne vous y méprenez pas, François Bizot dit ce qu’il a à dire, sans complaisance ; il a le style plus lyrique, qu’il met au service d’une parfaite connaissance de la région, et de ses us et coutumes.

Ce texte découpé en chapitres de longueur traditionnelle, se compose en réalité de deux parties égales non matérialisées qui représentent les deux " périodes" auxquelles il fait référence.

La première, est relative à sa détention au cours de l’année 1971 dans un camp Khmer. Il y fera la connaissance de celui qui sera jugé quarante années plus tard pour crimes contre l’humanité, Douch. Quelle que soit l’époque, quel que soit les lieux, nous retrouvons la dure réalité des camps, avec ses variantes locales…ici le paludisme, et la cruauté toute particulière des Khmers rouges ; bien curieuse manière d’honorer un idéal démocratique, et d’égalité….
Curieusement, c’est Douch qui se révèle le plus humain. Bizot sera relativement épargné, sans aucun doute parce que français, et parce connaissant parfaitement la culture khmère dont il parle d’ailleurs la langue. C’est dans cette partie du récit, que Bizot, met en évidence la mise en place de l’idéologie révolutionnaire et de ce qui en suivra. C’est avec beaucoup d’intelligence, en mettant à disposition toute ses connaissances de sa culture, qu’il réussit à faire parler Douch, pour ainsi mieux le sonder.
« Ah !, coupa t-il (c’est Douch qui s’exprime), leur duplicité m’insupporte au plus haut point ! La seule façon est de les terroriser, de les isoler, de les affamer. »
Et voilà ce qu’en dit Bizot, qui avait bien cerné la complexité du personnage :
« Or, n’était-ce pas seulement l’homme en lui qui était un danger ? Car je n’avais pas devant moi un monstre abyssal, mais un être humain que la nature avait conditionné pour tuer affilant son intelligence telles les dents du requin ou du loup…quoiqu’en prenant grand soin ne pas lui ôter sa psychologie humaine. »

La seconde partie fait référence à une période plus tardive, 1975, marquant si je peux dire le début de la fin. Les Khmères rouges ont investi la capitale, les réfugiés arrivent en masse vers l’ambassade où Bizot est interprète. Il lutte jusqu’aux dernières limites pour faire évacuer un maximum. Tout se joue au niveau du portail au-delà duquel l’extraterritorialité est de plus en plus bafouée. Le portail c’est la frontière. C’est une vie de reclus, dans une ville en état de siège, où bientôt commencera un génocide, dont hélas personne ne pale plus guère de nos jours…
Avec habileté, Bizot travaille au service des français, qui pour beaucoup d’entre eux ont aussi des attaches très fortes au Cambodge. Il fera aussi son possible pour extraire les cambodgiens qui se retrouvent seuls. Tout son amour pour ce pays, et sa culture séculaire émane de ce livre. C’est un déchirement pour lui de partir,  de ne pouvoir sauver ses travaux effectuer à l’Ecole d’extrême –orient, et d’assister impuissant à cette descente aux enfers dont le pays mettra des décennies à se relever.

« Telle une âme libérée – pour la seconde fois – par le juge des morts, je sortis de l’enfer cambodgien, en passant le pont des transmigrations. »

François Bizot- La table ronde (25/08/2000)-398 pages 
François Bizot, né à Nancy en 1940, est un anthropologue français, spécialiste du bouddhisme de la péninsule du sud-est asiatique, à l'École française d'Extrême-Orient (EFEO).
l a vécu la guerre civile au Cambodge, pays dont il étudiait les reliques religieuses au début des années 1970. En particulier, il a été détenu en 1971 dans un camp de rééducation khmer rouge, dont il fut l'unique rescapé. Dans ce camp il a été interrogé par Kang Kek Ieu, plus connu sous le surnom de Douch, qui allait, plus tard, devenir le terrifiant et méthodique bourreau de la prison de Tuol Sleng (S-21), ancienne école située à Phnom Penh.

Il a également vécu de l'intérieur l'évacuation de Phnom Penh par les Khmers rouges (du 17 au 30 avril 1975), en tant qu'interprète des étrangers réfugiés en masse dans l'ambassade de France.

Il a relaté ces quelques années et ce parcours dans son livre Le Portail, récompensé par le Prix littéraire de l'armée de terre - Erwan Bergot en 2000 et le Prix des Deux Magots en 2001. Son aventure au Cambodge a aussi inspiré un film, Derrière le portail, de Jean Baronnet (2004).

Livre lu dans le cadre du challenge Destination Cambodge, organisé par Evertkhorus .




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