lundi 11 novembre 2024

Emma Picard

 

Les éditions du Tripode ont l’excellente idée de rééditer les romans de Mathieu Belezi. Après Attaquer la terre et le soleil, l’occasion m’est offerte de cheminer avec Emma Picard, initialement paru il y a presque dix ans sous un titre légèrement différent.

Mathieu Belezi, reste en Algérie, aux débuts de sa colonisation par les français. A cette époque, l’État offre de l’argent à qui voudra bien partir, souvent pour échapper à la misère, et tenter d’y construire une autre vie ; plus précisément en Algérie, il s’agit de partir de zéro, défricher une terre le plus souvent hostile, et se frotter à la population locale dont personne ne connait les us et coutumes.

Emma Picard est veuve, mère de quatre enfants, et sans le sou. A dire vrai, elle n’a pas vraiment le choix. L’offre est alléchante : une ferme, quelques hectares et ses maigres économies. Elle débarque en terre inconnue avec la foi du charbonnier, et l’obstination pour échapper à la misère, offrir à ses quatre fils une vie digne, et renouer avec la paix intérieure.

C’est cette vie qu’Emma raconte, ou plus pour être plus juste, scande à son dernier fils en vie Léon. Scander est le terme qui convient à cette écriture à la fois tranchante, d’une précision redoutable ne contenant pas un mot de trop et à ce style si particulier qui m’avait déjà interpellé dans ce que j’avais lu de l’auteur. La ponctuation est rare, tout comme les majuscules. Il y a comme une forme d’urgence dans ce texte qui met en lumière les forces et les failles d’une femme qui voudra y croire jusqu’au bout. Et ce ne sont pas ses erreurs d’appréciation, sa crédulité (parfois) qui entameront l’empathie pour elle. Emma est une victime consentante, mais victime avant tout d’un système, d’une terre hostile, de l’imprévisibilité des éléments et d’une histoire qui n’était pas la sienne mais à laquelle, bien malgré elle, elle a voulu prendre sa part.

Ce texte est d’une rare beauté, il demandait qu’on lui consacre du temps pour l’apprécier et s’en imprégner.

Merci à Babélio et les éditions du Tripode pour ce partenariat.

Emma Picard de Mathieu Belezi aux éditions du Tripode (Octobre 2024;première parution en 2015, 270 pages)

mercredi 30 octobre 2024

Houris

 

J’ai rarement ressenti autant de sentiments différents en lisant un livre. Houris, est de ces ouvrages qui ne laisse pas indifférent, pour lequel on ne peut avoir d’avis tranché. Bref, une littérature complexe qui vient du fond des tripes de son auteur.

Kamel Daoud, qui vit maintenant en exil en France, a choisi, à l’encontre des lois algériennes, de nous parler de la décennie noire, cette guerre civile que tout le monde veut oublier, et qui fit tant de morts, au nom de la cause islamiste

Art. 46 – Est punie d'un emprisonnement de trois (3) ans à cinq (5) ans et d'une amende de 250000 DA à 500000 DA quiconque qui, par ses déclarations, écrits ou tout autre acte, utilise ou instrumentalise les blessures de la tragédie nationale, pour porter atteinte aux institutions de la République algérienne démocratique et populaire, fragiliser l'État, nuire à l'honorabilité de ses agents qui l'ont dignement servie, ou ternir l'image de l'Algérie sur le plan international.

Aube en est une de ses victimes. Égorgée il y a vingt ans, comme ses parents et sa sœur qui eux sont morts, il ne lui reste que son « sourire » de part et d’autre des oreilles. Elle ne parle plus. Enceinte, elle s’adresse à l’enfant qu’elle porte et dont elle ne veut pas. Aube retourne là où elle est née, à la recherche de son passé, pour comprendre.

Complexe, parce que d’une partie à l’autre, Kamel Daoud change de plus en plus souvent de narrateur, mélange les époques, met en scène des personnages que l’on peut avoir du mal à situer. Il m’a souvent perdue, mais à chaque fois retrouvée, et remise sur le chemin grâce à sa maîtrise si particulière de la langue et du style. Des pauses peuvent être nécessaires pour mener à bien cette lecture exigeante, pour digérer les images qui défilent dans notre esprit, et évacuer la révolte qui gronde en en soi.

L’ouvrage est marquant pour le courage qu’a l’auteur de briser l’omerta de son pays. Je reconnais le travail littéraire incontestable.

Ce livre m’a-t-il plu ? Je n’en sais rien. Je l’ai lu avec plaisir dans sa première partie, avec difficulté pour la seconde, et un peu d’impatience pour la troisième dont l’issue faute de pouvoir être joyeuse, s’avère néanmoins lumineuse.

Houris est le lauréat du prix Landerneau des lecteurs 2024. Bien qu’il ne fût pas mon premier choix, j’étais ravie du résultat. Mr Daoud nous a offert, 2h de son temps pour une conversation intime chaleureuse et enrichissante. Un moment d’une rare intensité !

Houris de Kamel Daoud aux éditions Gallimard (Août 2024, 415 pages)