Voici le livre secret de Jacqueline de Romilly. Écrit dans l'année qui suivit la mort de sa mère, en 1977, elle en fit imprimer quelques exemplaires pour les donner à ses amis. Mais par pudeur, par respect, parce qu'il y a quelque chose de vulgaire à se laisser interroger sur ce qu'il y a de plus intime, et parce qu'elle avait horreur de la vulgarité, elle n'a pas souhaité que ce livre soit publié de son vivant et a chargé son éditeur et ami Bernard de Fallois de le publier après sa mort. Elle fait ici le portrait d'une femme aux dons multiples, travailleuse infatigable, qui fit preuve pendant trente ans d'un talent d'écrivain reconnu, mais ne connut jamais le véritable succès. Après avoir perdu son mari au début de la guerre de 14, elle avait choisi de vivre dans l'ombre de sa fille. C'est toute une époque de la vie française du premier XXe siècle que Jacqueline de Romilly fait revivre autour d'elle. Mais c'est aussi le récit - on a presque envie de dire la confession - de l'union indissoluble d'une fille et de sa mère. Jacqueline de Romilly nous en dit beaucoup sur elle-même, à cette occasion, et nous comprenons mieux ce sentiment mêlé d'admiration, de sympathie, de reconnaissance et d'affection que ses lecteurs, même s'ils ne l'avaient jamais rencontrée, ont éprouvé en apprenant sa disparition.
Jeanne, sa mère ; Jeanne son amie ; Jeanne, sa vie, Jeanne, l’amour de sa vie. C’est cette proximité avec sa mère qui avant tout surprend : il n’y a pas de maman, ou ma mère….. « Je suis sa fille-la fille de Jeanne au bracelet d’argent, ou plutôt celle qui avait été Jeanne au bracelet d’argent. » Cela surprend, mais il y a un tel respect à nommer sa mère ainsi, Elle l’érige à un rang supérieur.
Jacqueline de Romilly aura attendu sa propre mort pour offrir au public cette déclaration d’amour à sa mère que son éditeur conservait précieusement depuis 34 ans.
Si c’est bien de Jeanne Malvoisin dont il est question, Jacqueline de Romilly est omniprésente par le "Je" employé. Elle prend de fait position dans le couple fusionnel mère fille-fille. L’une ne va pas sans l’autre, elles ne font qu’un. Au travers de sa mère, c’est également elle que Jacqueline de Romilly raconte
C’est la grande guerre qui va sceller cet amour. Jeanne se retrouve veuve très vite avec une petite à élever. Jeanne a quelques talents pour écrire. Il faudra se serrer les coudes, travailler, vivre, ou plutôt survivre.
L’histoire d’une femme, l’histoire des femmes durant les guerres. Qu’il est difficile d’être seule, d’être veuve et mère, d’être une femme respectable et respectée durant cette époque.
Jeanne, c’est la bonté même, le sacrifice même. Elle vit pour et au travers de son enfant.
Jacqueline de Romilly dresse un vibrant hommage à cette femme de lettres, intelligente, et qui n’a vécu que pour sa fille.
« Je sais aussi que tout ce qui a jamais tenté Jeanne, dans la, a été refusé par elle à cause de moi. »
« Telle était, pour Jeanne, la joie de la richesse : pouvoir me donner tout ce dont j’avais un instant envie. »
C’est à la fois tendre, doux, émouvant, très instructif sur l’entre –deux guerre.
Je regrette cependant que ce livre soit écrit dans une langue trop belle pour ce genre littéraire. Le livre en aurait été plus sensible, plus proche. Peut-être que l’auteur aurait gagné à fendre davantage l’armure, même si je reconnais aisément, qu’à l’époque où ce livre a été écrit, et juste après le décès ce Jeanne, l’exercice pouvait être plus délicat.
Jacqueline de Romilly-Editions de Fallois-248 pages
26/03/1913-18/12/2010
Jacqueline de Romilly, née Jacqueline David, est la fille de Maxime David, professeur de philosophie, mort pour la France, et de Jeanne Malvoisin. Elle a épousé en 1940 Michel Worms de Romilly.
Études à Paris : au lycée Molière (lauréate du Concours général, la première année où les filles pouvaient concourir), à Louis-le-Grand, à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm (1933), à la Sorbonne.
Agrégée de lettres, docteur ès lettres, elle enseigne quelques années dans des lycées, puis devient professeur de langue et littérature grecques à l’université de Lille (1949-1957) et à la Sorbonne (1957-1973), avant d’être nommée professeur au Collège de France en 1973 (chaire : La Grèce et la formation de la pensée morale et politique).
Du début à la fin, elle s’est consacrée à la littérature grecque ancienne, écrivant et enseignant soit sur les auteurs de l’époque classique (comme Thucydide et les tragiques) soit sur l’histoire des idées et leur analyse progressive dans la pensée grecque (ainsi la loi, la démocratie, la douceur, etc.).
Elle a également écrit sur l’enseignement. Quelques livres sortent de ce cadre professionnel ou humaniste : un livre sur la Provence, paru en 1987, et un roman, paru en 1990, ainsi que quatre volumes de nouvelles.
Après avoir été la première femme professeur au Collège de France, Jacqueline de Romilly a été la première femme membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres (1975) et a présidé cette Académie pour l’année 1987.
Prix Ambatiélos de l’Académie des inscriptions et belles-lettres (1948), prix Croiset de l’Institut de France (1969), prix Langlois de l’Académie française (1974), Grand prix d’Académie de l’Académie française (1984), prix Onassis (Athènes, 1995) et diverses récompenses grecques, dont en 2008 le prix du Parlement hellénique.
Élue à l’Académie française, le 24 novembre 1988, au fauteuil d’André Roussin (7 fauteuil).
Obtenant la nationalité grecque en 1995, elle est nommée « ambassadrice de l'hellénisme » en 2000. Jacqueline de Romilly s'est convertie au catholicisme en 2008, à quatre-vingt-quinze ans.
La plume au féminin avec Opaline
Sa conversion au catholicisme n'est pas prouvée. Elle est fondée sur le témoignage d'une seule personne. Elle-même n'a jamais fait savoir si elle s'était convertie ou non. Elle n'a pas eu des funérailles catholiques.
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