vendredi 9 décembre 2011

La confusion des peines


« Tu ne veux pas que j'écrive ce livre. Tu me l'as dit. Tu me l'as demandé. Tu y avais pensé toute la soirée, toute la nuit, tu ne voulais pas. Ou, plus précisément, tu ne voulais pas que je l'écrive maintenant. Ce livre, Laurence, tu l'écrirais quand je serai mort. Voilà ce que tu m'as dit. »
L’objet, le point de départ, le prétexte de ce livre est abordé, certes, assez pour que le lecteur comprenne. Par un temps, il m’a un peu gêné, tant cela paraissait éloigné de la matière du livre. Et puis, insidieusement, comme Laurence Tardieu, j’ai laissé de côté tout cela pour ne retenir que l’essentiel, et plus beau : l’amour d’une fille pour son père, qui faute d’avoir pu être dit, est écrit.

Dans cette famille comme dans tant d’autres, on s’aime, mais on ne se le dit pas, on ne se touche pas. A quoi bon le dire ? Le montrer tous les jours n’est pas l’essentiel ? C’est ce qui revient le plus souvent quand on aborde le sujet entre 4 yeux.

« Entre nous pas d’effusions. On ne dit pas la douleur. On ne dit pas l’amour. On en vibre, on en défaille, mais on les tait. On les cache. »

Plutôt qu’un roman, ces pages sont plus, pour moi, tantôt une confession, avec la narration à la troisième personne, tantôt une lettre lorsque Laurence Tardieu s’adresse directement à son père.

La construction y est hétérogène, pas vraiment organisée ; et cela traduit une certaine confusion, un malaise par rapport à tout ce que peut ressentir l’auteur. La longueur et la complexité des phrases sont aussi marquant. Des phrases, des mots qui raisonnent, qui interpellent.

Comme d’autres,  écrire pour Laurence Tardieu, c’est comprendre, se libérer, évacuer, c’est sortir d’un  long silence.

« Je reprends la parole parce que je ne peux pas faire autrement. Je prends la parole pour reprendre mon souffle. »

Un souffle que, moi lectrice, aie un temps, un peu perdu, avec ces phrases longues t lourdes, et qui s’est apaisé ensuite.

« De ce silence nous sommes tous responsables : mon père ne disant rien, nous n’osant rien demander. »

« Le silence est pour nous un territoire si intime, si familier, qu’il constitue notre espace vital, le seul au sein duquel nous sachions nous mouvoir, même si nous y étouffons, mais où nous nous obstinons à errer. »

« Écrire c’est lutter contre le silence. (..)Écrire c’est aussi tenter de mettre en ordre ce qui dans ma vie l’était si peu. »

De Laurence Tardieu, j’ai tout lu, sauf un temps fou. Comme un père et Le jugement de Léa, ses deux premiers ouvrages, m’ont particulièrement marquée. La justice y occupe une grande place, et je mesure pleinement, en lisant cet ouvrage-là, combien le sujet a pu la toucher personnellement. Était-ce déjà deux timides tentatives de libération ?

Les dernières lignes sonnent comme un apaisement, un nouveau départ, la naissance de quelqu’un d’autre.
Laurence Tardieu- Sock; collection bleue (23/08/2011)-154 pages





 26 ème ouvrage de la rentrée littéraire, dans le cadre du challenge organisé par Hérisson.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire