« Quand
il y a eu un génocide, il peut y en avoir d’autre, n’importe quand à l’avenir,
n’importe où, au Rwanda ou ailleurs ; si la cause est toujours là et qu’on
ne la connait pas. »
Le
génocide rwandais est récent à l’échelle du temps. Si des auteurs rwandais se
sont déjà "emparés" des évènements pour la fiction, les historiens en
sont encore aux balbutiements.
Jean
Hatzfeld, journaliste mène depuis des années un travail d’investigation au cœur
des marais rwandais où ont eu lieu les massacres tant auprès des victimes, des
assassins que des descendants de victimes.
Trois
ouvrages parus respectivement en 2000, 2003, et 2007 ont été réunis en un seul
volume. Et c’est une excellente idée.
Englebert des colline suivra en 2014, puis Un papa de sang prochainement chez Gallimard (
cf. mon avis de lecture dès parution).
Trouver
en un seul volume permet au lecteur de lire dans la foulée des ouvrages qui
pris séparément auraient pu être dépassés par d’autres.
Parce
que j’avais fait la connaissance d’Englebert, et que surtout qu’il m’a été
donné l’occasion de lire la suite (sans
qu’il soit impératif de suivre la chronologie) des premiers ouvrages, j’ai
fortement souhaité approfondir le sujet, rarement traité par ailleurs.
Il
faut saluer l’énorme travail d’investigation, et de préparation de l’auteur,
ainsi que son engagement humain auprès d’hommes et de femmes auxquels il cède
le devant de la scène pour se livrer avec un naturel et une sincérité qui émeut d’emblée.
Si
les témoignages des rescapés sont souvent poignant tant pas la teneur de leurs
propos et de l’atrocités des faits, que par l’esprit de sagesse qui s’en
dégage, j’ai été encore plus interpellés
par la parole des assassins, la facilité avec laquelle chacun d’entre nous peut
sombrer du mauvais côté, et surtout l’étrange sentiment d’impuissance et de fatalisme
qui ressort de ces derniers.
« Dans
le marais il suffisait de fouiller et de tuer jusqu’au coup de sifflet final. »
« Pendant
les tueries, je ne considérais plus rien de particulier dans la personne tutsie,
sauf qu’elle devait être supprimée. »
Au-delà
des témoignages, et veillant à se mettre l moins possible en avant, Jean
Hatzfeld se veut aussi "pédagogue" en établissant les similitudes et
différences avec la Shoah. Peu importe le nombre, et les moyens employés, un
génocide reste un génocide.
La
troisième partie du travail de Jean Hatzfel est consacré à l’après, et à l’inévitable
retour des bourreaux au milieu des survivants. Les récits des uns et des autres
montrent l’impossible pardon, le nécessaire travail de surpassement pour
continuer à vivre, mais surtout l’extrême fragilité des choses quand chacun se
voit contraint de cohabiter avec l’autre…
Voilà
une lecture poignante, instructive à plus d’un titre ; trois ouvrages
construits avec intelligence, écrit avec élégance, et chose rare avec toute la
retenue de son auteur qui a su rester en retrait chaque fois qu’il le fallait.
Un
livre qui ne se laissera pas oublier de sitôt.
Récits des marais
rwandais, Jean Hatzfeld
Seuils, Mars 2014
704 pages
4ème de
couverture :
En
trois livres d’une portée internationale, Jean Hatzfeld a écrit un triptyque du
génocide tutsi perpétré au Rwanda en 1994, et cet ensemble est proposé pour la
première fois en un seul volume, afin de faire apparaître l’ampleur et
l’articulation de cette œuvre d’écoute et d’interrogation.
Le
premier tome (Dans le nu de la vie), paru en 2000, s’intéresse aux rescapés
tutsis, le deuxième (Une saison de machettes, 2003) aux tueurs hutus, et le
troisième (La stratégie des antilopes, 2007) raconte le vertigineux voisinage,
aujourd’hui, des uns et des autres revenus sur leurs collines.
Récits
des marais rwandais est issu de nombreux séjours, effectués au cours d’une
dizaine d’années, dans une seule et même bourgade, Nyamata, et ses hameaux
bordés de marais et de forêts, lieux des massacres. En tissant au fil des ans
un lien patient, jamais rompu, avec vingt-six interlocutrices et interlocuteurs
appartenant aux deux communautés, en multipliant non sans obstination ses
interrogations avec eux, et en réalisant un travail d’écriture sur la langue et
le souvenir à partir de ces récits, Jean Hatzfeld a constitué un univers
génocidaire d’une dimension exceptionnelle, dont l’écho nous habite
durablement.
A propos de l’auteur :
Journaliste
et écrivain né en 1948, il a séjourné plusieurs mois au Rwanda depuis le
génocide et plus précisément sur les collines de Nyamata où il a recueilli les
témoignages des rescapés et écrit Dans le nu de la vie, récits des marais
rwandais (prix France-Culture, 2000). Il a aussi publié un récit, L'Air de la
guerre (prix Novembre, 1994), et un roman, La Guerre au bord du fleuve (1999).
Autre
ouvrages:
*Où
en est la nuit ( Gallimard, 2011)
*Robert
Mitchum ne revient pas (Gallimard , 2013)
*Englebert des collines (Gallimard, 2014)
*Un
papa de sang ( à paraître en 2015 chez Gallimard)
*Une
saison de Machettes (Seuil, 2003; Prix fémina essai 2003)
*La
ligne de flottaison (Seuil, 2005)
*La
stratégie des antilopes (Seuil, 2007; Prix Médicis 2007, Ryszard Kapuscinski
Prize 2009)
Pour le challenge d' Enna, catégorie objet(3ème ligne)
15/24
Pour le challenge de Bianca.
Pour le challenge de Brize.
Je ne connaissais pas ce volume mais j'avais entendu parler de "La stratégie des antilopes". La démarche de l'auteur force le respect et, lorsque je lis ton commentaire, je me dis qu'il faudra qu'un jour j'aie le courage de me plonger dans ce recueil ...
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