Je
n’aime pas me cantonner au seul roman, premier, second ou multiple, français ou
pas ; je n’aime pas être rangée dans une petite boite, lire comme tout le
monde, ce que tout le monde lit. Et parfois, j’aime bien sortir vraiment des rails,
et m’engager sur un terrain qui pourrait s’avérer glissant voire polémique.
Cet
essai sur l’homosexualité au Vatican en avait tous les ingrédients. A l’inverse
ce fut un ouvrage dénué de jugement, sans effet racoleur, teinté d’humour,
parfois, mais surtout très éclairant sur un phénomène qui au fond ne m’a guère
surprise sur le fond, mais effarée sur son ampleur annoncée par son auteur.
Pourquoi
me direz-vous consacrer plus de 600 pages à l’homosexualité au Vatican, et plus
généralement au sein de l’Eglise catholique ? Après tout, chacun est bien
libre de faire ce qu’il veut de ses fesses, entre adultes consentants ; ce
qui se passe sous la soutane ne nous regarde pas. Sauf que la sexualité est
depuis 50 ans une obsession de l’Eglise catholique, qui n’a de cesse de nous
prescrire ceci ou cela, nous interdire tel ou tel comportement, et nous
promettre les enfers dans certains cas. Charité bien ordonnée commence par soi-
même… Dans ce domaine, l’hypocrisie règne en maître.
« Plus un prélat est homophobe, plus il a de
chance d’être lui-même homosexuel. Ces conservateurs, ces « tradi »,
ces « dubia » sont bien les fameux « rigides qui mènent une
double vie » dont parle si souvent François. »
Dans
cette grande enquête menée sur tous les
continents et s’appuyant sur de nombreuses ressources et d’innombrables
entretiens, Frédéric Martel a cherché à comprendre « la psychologie
collective et l’homosociabilité généralisée », et à expliquer les comportements,
les discours homophobes , l’hystérie autour de l’usage du préservatif en pleine
pandémie de Sida, les « affaires » qui ont éclaboussé l’Institution,
jusqu’à la démission surprise de Ratzinger et la prise de conscience du Pape
François qui n’a pas les coudées franches pour réformer, si ce n’est un peu,
les choses.
Martel
avance également une des raisons de la baisse des vocations sacerdotales que l’on
observe depuis les années70. Avant la libération sexuelle, un adolescent gay ou
qui doutait s’engageait dans le sacerdoce ; de paria dans la société civile,
il devenait initié dans l’Eglise. Tout était caché, restait « à l’intérieur
de la paroisse » ,la question de a chasteté vis-à-vis des femmes ne
se posait ainsi pas !Le tout était de rester dans » le placard »,
pourvu que l’on soit discret, et l’homosexualité si décriée au dehors était
tolérée voir mise en valeur quand il s’agissait de promotion au sein de la
hiérarchie.
Martel
ne dénonce en rien le fait d’être ou pas homosexuel, mais l’hypocrisie qui
règne à son sujet, et à propos de ses dérives de la part de certains prélats
qui se sont révélés être ou supposés être de véritables prédateurs sexuels,
et/ou à propos de ceux qui ont fermé les yeux en raison de leur propre homosexualité
de peur que celle- ci soit révélée.
«
En stigmatisant les homosexuels en
Afrique, l’Eglise les contraint à se cacher. Ils se réfugient dans les séminaires
pour se protéger et ne pas avoir à se marier. »
« L’homosexualité fut l’un des ressorts de ma
vocation. Le sacerdoce célibataire est un problème pour un prêtre hétérosexuel ;
c’était une aubaine pour le jeune gay que j’étais. C’était une libération. »
Parole de prêtre italien.
Cet
essai est judicieusement construit. D’abord, il traite du pontificat actuel
sous la forme d’un état des lieux, et en dressant une sorte de feuille de route
pour le pape François. Puis, il reprend successivement et chronologiquement les
trois avant -derniers pontificats (à savoir ceux de Paul VI, Jean-Paul II
(le pire selon l’auteur) et Benoît XVI plus mystique d’administrateur et vite
dépassé par les évènements) en expliquant comment s’est installé le double
langage et le durcissement de la morale sexuelle dans l’Eglise en même temps
que s’installaient les affaires, les prélats et autres dignitaires dans une sorte
de bulle d’impunité.
De
tout cela, on constate la grande misère affective du clergé catholique, sa
solitude ; Et parce qu’un homme reste un homme, avec ses sentiments, ses
désirs, son corps, et que l’institution s’arque boute sur des principes d’un
autre âge, une morale archaïque, on en arrive à des situations invraisemblables,
des comportements abjectes. Cette morale d’un autre temps éloigne l’institution
des fidèles.
Il
y aurait tant à dire sur ce livre qui m’a passionné d’un bout à l’autre. Le
travail de l’auteur est remarquable, fouillé, précis, abondamment documenté.
Je
laisse l’auteur conclure en l’approuvant mille fois…
« Et même si
personne n’ose encore l’avouer publiquement dans l’Eglise, tout le monde sait qu’on
ne pourra pas mettre fin aux abus sexuels des prêtres tant qu’on n’abolira pas
le célibat, tant que l’homosexualité ne sera pas reconnue dans l’Eglise pour
permettre aux prêtres de dénoncer les abus, et tant que les femmes ne seront pas
ordonnées. »
Sodoma
de Frédéric Martel, chez Robert Laffont (Février 2019,630 pages)
Frédéric
Martel est un
écrivain et journaliste français né près d'Avignon.
Il est
docteur en sociologie. Il a été successivement chef du bureau du livre à
l’ambassade de France en Roumanie (1990-1992), chargé de mission au département
des affaires internationales du ministère de la Culture (1992-1993), conseiller
de l’ancien Premier ministre Michel Rocard (1993-1994), puis rédacteur en chef
de la revue intellectuelle de la CFDT (1995-1997, auprès de Nicole Notat).
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