vendredi 9 août 2019

Le chant du bourreau



« J’ai toujours été capable de tuer, dit Gilmore. Il y a une partie de moi-même que je n’aime pas. Par moment je peux être totalement dénué de sentiment pour autrui, tout à fait insensible. Je sais que je suis en train de commettre quelque chose d’affreux, mais je continue et je le fais. »

Passionnant d’un bout à l’autre, c’est avec une certaine nostalgie que j’en ai achevé la lecture ; et ce malgré ses 1300 pages !
Il y a quelques années de cela, j’avais déjà été subjuguée par le tristement célèbre Gary Gilmore ausculté du point de vue de son frère cadet Mikal Gilmore dans le remarquable  
Un long silence . Et forcément, j’ai assez eu vite envie d’aborder l’ouvrage de Norman Mailer qui lui valu son second Prix Pulitzer.

Ce document est une œuvre journalistique exhaustive qui reprend de manière chronologique la vie et la mort de Gary Gilmore sous tous les angles possibles. On y retrouve donc sa famille, proches et moins proches, ses femmes et surtout celle qu’il a aimée envers et contre tout, ses juges et la presse qui a tourné autour de l’affaire de loin comme de près.

Pour faire un bref rappel des faits, nous sommes au milieu des années 70, Gilmore alors âgé de 35 ans est en liberté conditionnelle après un long parcours judiciaire et carcéral. A peine quelques mois plus tard il se rend coupable de deux meurtres pour lesquels il sera condamné à mort. Le hic de l’histoire, c’est que, primo, l’Utah (terre des Mormons, un détail qui aura son importance pour la suite) n’applique plus la peine capitale, et, secundo le condamné va refuser catégoriquement tout recours pour commuer sa peine, tout appel et fera tout pour être mis à mort. Gilmore est ″l’homme qui voulait mourir

« Pour l’instant je suis prisonnier de mon corps. Je suis enfermé en moi-même. C’est pire que la prison. »

Norman Mailer fait donc ici une photographie quasiment minute par minute de tout ce qui s’est passé autour de cette affaire.
Il met en lumière le système judiciaire compliqué des Etats Unis du en partie à la coexistence d’un système propre à chaque état et des grands principes ayant la primauté sur les lois de chaque état.

Mailer met également en lumière un état dans l’état : la presse et toutes les manigances des journalistes indépendants comme des grands groupes, chacun à la recherche de l’exclusivité.

Mailer laisse une large place à l’environnement familial et intime. Il y a beaucoup de lettres entre Gilmore et Nicole, celle qui était prête à mourir en même temps que lui.

Dans cet état mormon, il faut aussi souligner le rôle des abolitionnistes dans cette véritable course contre la montre que Gilmore finira par gagner.

Dénué d’affect, avec malgré tout une évidente opposition de l’auteur à la peine de mort, ce livre se lit comme un ouvrage journalistique parfaitement écrit et redoutablement et diversement documenté.

Certes le ‶morceau peut effrayer : 1300 pages, et un certain poids dans la main. Mais il est très abordable, passionnant ; et pour peu que l’on ait un peu de temps devant soi et l’esprit suffisamment libéré du quotidien, il n’y a aucune raison de ne pas en venir à bout !

Le chant du bourreau, traduit de l’américain par Jean Rosenthal, chez Robert Laffont (1980, 895 pages), disponible chez Pavillons Poche (2008, 1300 pages)



Norman Kingsley Mailer est un écrivain, scénariste, réalisateur et acteur né en 1923 et mort en 2007.

Fils d'Isaac Barnett, un comptable juif originaire d'Afrique du Sud, et de Fanny Schneider, gestionnaire d'une agence de femme de ménage, il est élevé à Brooklyn, et entre à l'Université Harvard en 1939 où il étudie l'ingénierie aéronautique. Il s'y découvre un intérêt pour l'écriture et publie sa première histoire à 18 ans. Enrôlé dans l'armée américaine, il participe à la Seconde Guerre mondiale dans le Pacifique Sud. En 1948, juste avant d'entrer à la Sorbonne à Paris, il écrit "Les Nus et les Morts" (The Naked and the Dead), basé sur son expérience de la guerre dans le Pacifique, qui le rend célèbre.
Les années suivantes, Norman Mailer écrit des scripts pour Hollywood qui sont pour la plupart refusés. Vers le milieu des années 1950, tenté par le marxisme et l'athéisme, il devient un célèbre écrivain "anti-establishment" et libertaire. Dans "The White Negro : Superficial Reflections on the Hipster" (1956) et "Advertisements for Myself" (1959), il traite de la violence, de l'hystérie, des crimes et du désarroi de la société américaine.
Son œuvre, partagée entre un réalisme et une écriture journalistique, se veut la conscience en éveil des injustices du temps, des débordements politiques américains et des drames qui en découlent. Il a été l'un des emblèmes de l'opposition à la guerre du Vietnam dans les années 60 et 70. Il fut candidat à la mairie de New York en 1969.
Norman Mailer est également connu comme biographe, il a par exemple écrit sur Marilyn Monroe, Pablo Picasso, et Lee Harvey Oswald.
Il fut aussi réalisateur et acteur ("Ragtime" de Miloš Forman en 1982). "Les vrais durs ne dansent pas" (Tough Guys Don't Dance), avec Isabella Rossellini et Ryan O'Neal, adapté d'un de ses romans, fut sélectionné au Festival de Cannes en 1986.
Norman Mailer est un habitué des récompenses : il a reçu aux États-Unis le prix Pulitzer pour "Les Armées de la nuit" en 1969, et à nouveau en 1980, pour "Le Chant du bourreau" avant de recevoir, en 1983, l'insigne de Commandeur de l'Ordre des Arts et des Lettres de la part de la France et le 3 mars 2006, la Légion d'honneur des mains de l'ambassadeur de France aux États-Unis.
Il s'était marié six fois et a eu neuf enfants (dont un adopté avec sa dernière épouse).







5 commentaires:

  1. Ah oui un bon pavé ! ;-) Je ne connaissais pas mais ça a l'air pas mal du tout.

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  2. J'ai aussi lu Un si long silence dont j'ai gardé un bon souvenir ...1300 pages c'est peut-être un peu beaucoup pour moi :)

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  3. Un auteur connu seulement de nom, une erreur à réparer il me semble... Le côté pavé ne me fait pas peur ! ;)

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  4. Même si tu l'as trouvé très abordable, il me paraît quand même impressionnant, ce pavé !

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  5. je ne connaissais pas du tout, mais je note.

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