Voilà
un roman lourd à bien des égards. Lourd parce que comportant près de 900 pages,
tout de même, ce livre ne se promène pas partout.
Lourd,
parce que foncièrement dérangeant ; On pensait que l’Allemagne de
l’après-guerre avait nettoyé ses écuries ‘Augias ! Que nenni, comme
d’autres, elle a recyclé ses salopards. La chose n’était pas totalement
inconnue. Il suffit de se rappeler les mémoires des époux Klarsfeld …
Nous
sommes à la fin des années 70, dans une chambre hôpital, un homme dont la tête
est habitée par une balle se confie à son voisin de chambrée, pas en meilleure
posture d’ailleurs, sur son passé d’ancien nazi, de frère de nazi. Le lecteur
sera bien aise de retrouver les protagonistes hors du propos principal, pour
souffler, digérer le terrifiant destin des frères Solm auxquels il faut
rajouter une sœur adoptive, formant ainsi, en plus du reste, un triangle
amoureux pour le moins sordide…
Tout
démarre dans les provinces baltes, où vivent au début du siècle une minorité
allemande. Les frères Solm, Koja et Hub s’engagent du côté des nazis, Koja
vraisemblablement plus victime de son frère que franchement volontaire pour la
cause ; encore que tout ça reste à nuancer.
La
guerre perdue, chacun tente de sauver ce qui peut être sauvé ; et c’est
ainsi que de bourreaux des juifs, on devient agent secret, allant même jusqu’à
travailler pour le Mossad….
Comme
quoi, tout se recycle, même les nazis !
Cette
confession nous amène donc jusqu’à la fin des années 70. Chacun comprendra
aisément que le lecteur puisse parfois manquer d’air tant le propos est lourd.
D’autant qu’il y a certaines longueurs, pas insurmontables, mais longueurs
malgré tout.
Je
ne suis pas certaine que l’on puisse ″aimer″ un tel livre. On s’y engouffre, on
s’y investi pour ses innombrables qualités, et pour sa portée. L’ouvrage est
incontestablement bien documenté, très bien construit, et remarquablement
écrit.
Cette
fresque monumentale laisse le lecteur avec un tas de sentiments contradictoires
par rapport à l’ensemble des personnages. Ils sont tous tellement complexes et
ambiguës qu’ils nous inspirent à la fois le dégoût, la crédulité, une certaine
forme d’empathie, la pitié parfois ….
Il
est à mon sens un ouvrage essentiel, car audacieux, courageux dans ce qu’il
montre de cynisme, il apporte un regard différent et sans fard sur l’histoire
récente.
La
fabrique des salauds de Chris Kraus, traduit de l’allemand par Rose Labourie,
aux éditions du Seuil (Août 2019, 880pages).
Christopher
"Chris" Johannes Kraus est un auteur et réalisateur allemand.
Il
a démarré une carrière de journaliste et d’illustrateur avant d’étudier à
l’Académie allemande du film et de la télévision de Berlin.
Il
est l’auteur de plusieurs films (d’abord en tant que scénariste puis en tant
que scénariste et réalisateur), qui lui ont valu de nombreux prix.
Son
œuvre "Quatre minutes" ("Vier Minuten", 2006) a été
couronné de succès dans le monde entier et a été adaptée au théâtre (Théâtre La
Bruyère, Paris, 2014).
Outre
ses films de fiction, Chris Kraus a également coréalisé un documentaire sur
l'écrivain et réalisateur Rosa von Praunheim, "Rosakinder" (2012).
En
2017, la comédie "The Bloom of Yesterday" ("Die Blumen von
gestern"), plusieurs fois primée, est sortie en Allemagne, en Autriche et
en Suisse.
Chris
Kraus est par ailleurs l’auteur de quatre romans. "La Fabrique des
salauds" ("Das kalte Blut") est son troisième texte (paru en
Allemagne en 2017) et le premier paru en France.
C'est un livre qui semble exigeant mais qui mérite sa lecture. Il me fait envie depuis sa sortie ! ;)
RépondreSupprimeril me fait hésiter, mais je pense que je finirais par tenter!
RépondreSupprimerJe crois l'avoir déjà vu chez Karine et hormis le nombre de pages qui m'effraie un peu, je suis rudement tentée !
RépondreSupprimerUn roman difficile, mais je l'ai vraiment apprécié. Les portraits de personnages sont tellement fascinants...
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