jeudi 9 janvier 2020

La fabrique des salauds


Voilà un roman lourd à bien des égards. Lourd parce que comportant près de 900 pages, tout de même, ce livre ne se promène pas partout.

Lourd, parce que foncièrement dérangeant ; On pensait que l’Allemagne de l’après-guerre avait nettoyé ses écuries ‘Augias ! Que nenni, comme d’autres, elle a recyclé ses salopards. La chose n’était pas totalement inconnue. Il suffit de se rappeler les mémoires des époux Klarsfeld …

Nous sommes à la fin des années 70, dans une chambre hôpital, un homme dont la tête est habitée par une balle se confie à son voisin de chambrée, pas en meilleure posture d’ailleurs, sur son passé d’ancien nazi, de frère de nazi. Le lecteur sera bien aise de retrouver les protagonistes hors du propos principal, pour souffler, digérer le terrifiant destin des frères Solm auxquels il faut rajouter une sœur adoptive, formant ainsi, en plus du reste, un triangle amoureux pour le moins sordide…

Tout démarre dans les provinces baltes, où vivent au début du siècle une minorité allemande. Les frères Solm, Koja et Hub s’engagent du côté des nazis, Koja vraisemblablement plus victime de son frère que franchement volontaire pour la cause ; encore que tout ça reste à nuancer.

La guerre perdue, chacun tente de sauver ce qui peut être sauvé ; et c’est ainsi que de bourreaux des juifs, on devient agent secret, allant même jusqu’à travailler pour le Mossad….

Comme quoi, tout se recycle, même les nazis !

Cette confession nous amène donc jusqu’à la fin des années 70. Chacun comprendra aisément que le lecteur puisse parfois manquer d’air tant le propos est lourd. D’autant qu’il y a certaines longueurs, pas insurmontables, mais longueurs malgré tout.

Je ne suis pas certaine que l’on puisse ″aimer″ un tel livre. On s’y engouffre, on s’y investi pour ses innombrables qualités, et pour sa portée. L’ouvrage est incontestablement bien documenté, très bien construit, et remarquablement écrit.

Cette fresque monumentale laisse le lecteur avec un tas de sentiments contradictoires par rapport à l’ensemble des personnages. Ils sont tous tellement complexes et ambiguës qu’ils nous inspirent à la fois le dégoût, la crédulité, une certaine forme d’empathie, la pitié parfois ….

Il est à mon sens un ouvrage essentiel, car audacieux, courageux dans ce qu’il montre de cynisme, il apporte un regard différent et sans fard sur l’histoire récente.

La fabrique des salauds de Chris Kraus, traduit de l’allemand par Rose Labourie, aux éditions du Seuil (Août 2019, 880pages).


Christopher "Chris" Johannes Kraus est un auteur et réalisateur allemand.

Il a démarré une carrière de journaliste et d’illustrateur avant d’étudier à l’Académie allemande du film et de la télévision de Berlin.

Il est l’auteur de plusieurs films (d’abord en tant que scénariste puis en tant que scénariste et réalisateur), qui lui ont valu de nombreux prix.

Son œuvre "Quatre minutes" ("Vier Minuten", 2006) a été couronné de succès dans le monde entier et a été adaptée au théâtre (Théâtre La Bruyère, Paris, 2014).

Outre ses films de fiction, Chris Kraus a également coréalisé un documentaire sur l'écrivain et réalisateur Rosa von Praunheim, "Rosakinder" (2012).

En 2017, la comédie "The Bloom of Yesterday" ("Die Blumen von gestern"), plusieurs fois primée, est sortie en Allemagne, en Autriche et en Suisse.

Chris Kraus est par ailleurs l’auteur de quatre romans. "La Fabrique des salauds" ("Das kalte Blut") est son troisième texte (paru en Allemagne en 2017) et le premier paru en France.

4 commentaires:

  1. C'est un livre qui semble exigeant mais qui mérite sa lecture. Il me fait envie depuis sa sortie ! ;)

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  2. il me fait hésiter, mais je pense que je finirais par tenter!

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  3. Je crois l'avoir déjà vu chez Karine et hormis le nombre de pages qui m'effraie un peu, je suis rudement tentée !

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  4. Un roman difficile, mais je l'ai vraiment apprécié. Les portraits de personnages sont tellement fascinants...

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