mercredi 1 septembre 2010

Les vestiges du jour



" Les grands majordomes sont grands parce qu'ils ont la capacité d'habiter leur rôle professionnel, et de l'habiter autant que faire se peut ; ils ne se laissent pas ébranler par les événements extérieurs, fussent-ils surprenants, alarmants ou offensants. Ils portent leur professionnalisme comme un homme bien élevé porte son costume. C'est, je l'ai dit, une question de "dignité"."
Stevens a passé sa vie à servir les autres, majordome pendant les années 1930 de l'influent Lord Darlington puis d'un riche Américain. Les temps ont changé et il n'est plus certain de satisfaire son employeur. Jusqu'à ce qu'il parte en voyage vers Miss Kenton, l'ancienne gouvernante qu'il aurait pu aimer, et songe face à la campagne anglaise au sens de sa loyauté et de ses choix passés... (tirée des éditions Gallimard)



Voilà un livre qui aurait pu m’échapper si je ne l’avais pas laissé un peu en friche, et surtout si je n’en avais pas regardé l’adaptation cinématographique, qui a sa sortie m’avais laissée plus que perplexe.
C’est l’écriture qui au début faisait repoussoir. Belle, magnifiquement bien construite, dans un style hautement aristocratique, mais terriblement rigide, à l’image de l’aristocratie de l’époque. Pour être crédible ce roman ne pouvait être écrit autrement.
Darlington Hall, dans les années 30, En attendant que le nouveau propriétaire des lieux n’arrive, Stevens, se voit proposer (et ce pour la première fois de sa carrière) quelques jours de" vacances " et la Ford de la propriété. Il décide d’aller rendre visite à Miss Kenton, qui fut gouvernante de ces lieux il y a quelques années. Le voyage dure 6 jours ; le livre comporte 6 chapitres.
Les souvenirs remontent en mémoire. C’étaient les années 20, Stevens, était alors majordome ; charge dont on héritait de père en fils, tant qu’on assurait son travail avec dignité.
Dignité, ou la raison de vivre de Stevens.
"Or, si la plupart des majordomes, je suis prêt à le concéder, risquent de découvrir en dernière instance que la capacité d’y parvenir leur manque, je crois profondément que cette dignité est un objectif que l’on peut viser avec profit tout au long d’une carrière." P 43
Cet homme est accaparé par son métier, et de ce fait incapable d’exprimer la moindre émotion. Cela se vérifiera à de nombreuses reprises, et dans les circonstances les plus tragiques comme la mort de son père.
"Miss Kenton, je vous en prie, ne me croyez pas grossier de ne pas monter voir mon père dans son « état de décès à ce moment précis. Vous comprenez, je sais que mon père aurait souhaité que je continue mon travail maintenant. " p 124
C’est stupéfiant, et impensable de nos jours.
Il est totalement assujetti à son employeur, qu’il appelle d’ailleurs "Sa Seigneurie ".
En ces temps là, Darlington Hall, est le cadre de réunions politiques internationales secrètes. Il se trame des tractations entre Allemands, Anglais, Français. Pour ne pas déplaire, on congédie deux femmes de chambres sous prétexte qu’elles sont juives. Stevens reste hermétique à tout cela. Je ne pense as que cela de la lâcheté, mais plutôt l’obsession d’accomplir sa tâche avec dignité. Il reste imperturbable, imperméable à tout ce qui sort du cadre de son travail.
Lors de l’évocation de son souvenir, l’auteur a su, tout au long de ce livre, et de manière constante, traduire par ses mots, et le style, l’atmosphère lourde, empesée, rigide, totalement dénuée de fantaisie qui régnait dans cette demeure.
L’humour n’en est pas moins présent. J’ai bien souri, en lisant, en début de livre les échanges savoureux entre Stevens et Miss Kenton, alors jeune gouvernante qui se fait reprendre de manière policée et désuète à propos de petits riens, ou lorsque Stevens manie la langue de bois avec les invités du château.
Comment ne pas s’attacher à Stevens, ne pas le plaindre, quelque part ; lui qui ne s’est jamais aperçu de "l’intérêt" pour lui qu’avait Miss Kenton, et qui fidèle à lui-même déclare des années plus tard alors qu’elle lui ait avoué à demi mot, il est vrai, ses sentiments :
"Je ne crois pas avoir répondu immédiatement, car il me fallu une minute ou deux pour digérer pleinement les paroles de Miss Kenton. De plus comme vous pouvez vous en douter, leur portée était de nature à susciter en moi une certaine douleur. En vérité –pourquoi ne pas le reconnaître ?-à cet instant précis, j’ai eu le cœur brisé." P 260

Kasuo Ishiguro-Presses de la renaissance-268 pages

3 commentaires:

  1. Oh! j'adore ce roman!! Et l'adaptation est terrible aussi!!
    Mais finalement as-tu aimé ou pas??

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  2. Oh je ne savais pas que c'était un bouquin à la base... J'avais ADORE le film !

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