« Il y a des histoires qui veulent être racontées. J'écris celle de mon frère comme en un miroir. Mais on ne sépare pas d'un miroir l'image qui s'y reflète. »
M.S.
Comme une ombre, c'est l'histoire de deux frères, Michel et Bernard, de leur enfance, de leur rivalité secrète, de leur impossible amour. D'effrayantes symétries entre les objets, les noms, les guerres, les amours. Des images obsédantes : une piscine municipale au bord de la Seine, un dancing, une caserne à Blida, un été espagnol... Et la mystérieuse L.
Michel Schneider raconte ici l'enquête du narrateur sur les traces de son double perdu : la guerre d'Algérie et ses douleurs, la musique et ses consolations, les femmes partagées à commencer par la mère, le désir, la trahison. Il explore le plus intime et confie la difficulté de grandir privé de son ombre.
Cherchant les mots qu'il ne lui a pas dits, et qui lui auraient ouvert ses bras, le survivant adresse au frère disparu une lettre qui ne lui parviendra pas.
« - Tu vas lui écrire cette histoire ? Pourquoi ton frère ? Et maintenant ? – Je ne sais pas bien. Pour lui rendre justice. Ou me faire pardonner quelque chose. Parfois j’ai l’impression ne n’être que son écho, son reflet, son ombre. »
Voilà un roman bien singulier, mais passionnant qu’il m’a été permis de lire presque malgré moi, si j’ose dire, tant j’ai jusque là eu tant d’appréhension à aborder le moindre ouvrage de Michel Schneider.
Mais au fond, est-ce vraiment un roman ? Peut-on parler uniquement de fiction ? Je n’ai que trop peu d’éléments de la vie de l’auteur, mais je ne peux m’empêcher de penser que ce que je viens de lire ne comporte pas une bonne part d’autobiographie …
La note de l’éditeur a, à mon sens, tendance à éloigner le lecteur de cette idée, mais…à postériori, j’ai tendance à penser que cette note peut jeter une certaine confusion.
Il n’empêche, dans une construction originale et méthodique, Michel Schneider emporte son lecteur dans son histoire familiale, et fraternelle.
Ils étaient plusieurs frères et sœurs, pas tous du même père. Mais il y avait surtout Bernard et Michel. Bernard est son ainé, a " fait " l’Algérie, en est revenu, est mort prématurément.
Michel, écrivain, a en commun le goût de la musique avec son frère, et par le biais de l’écrit part à sa recherche.
Dans les chapitres impairs, c’est Michel qui s’exprime sous forme d’enquête. Les chapitres pairs sont rédigés sous forme d’un récit, impersonnel.
Chacun des chapitres raconte l’histoire de ces deux frères, mais sous un mode différent, voir parfois antagoniste, comme si l’histoire n’était pas toujours la même selon l’endroit où l’on se place.
Cette quête n’est, en réalité, rien moins qu’un cri d’amour à un frère tant aimé, que la guerre d’Algérie a abimé profondément.
Les femmes, qu’ils ont parfois partagées, et la musique occupent une large place sans pour autant (pour la musique) que l’on puisse l’expliquer clairement.
« Jamais Michel ne saura s’il a aimé Bernard pour la musique, ou la musique pour Bernard. Jamais il ne saura ce que la musique lui disait, à lui. Son frère parlait peu de celle qu’ils partageaient. Il disait : Tais-toi, écoute ça ! »
Cette construction permet une lecture fluide et rapide, et permet de ne pas tomber dans l’écueil d’une narration linéaire qui retirait tout le charme de ce livre. Le sujet somme toute assez banal, prend, à mon sens, une tout autre dimension ; et de plus laisse toujours un doute quant à la possible note autobiographique. On referme le livre avec cette interrogation obsédante, mais absolument pas gênante. Ce livre est intrigant, et vaut au moins pour cela d’être lu.
Michel Schneider-Grasset (24/08/2011)-329 pages
Né en 1944, Michel Schneider, écrivain et critique littéraire, a été directeur de la musique et de la danse au ministère de la Culture de 1988 à 1991. Il est l'auteur de La Comédie de la culture et de plusieurs ouvrages sur la musique, notamment Glenn Gould piano solo, Prima donna, Musiques de nuit. Il a reçu le prix Médicis de l'essai en 2003 pour Morts imaginaires et le prix Interallié 2006 pour Marilyn dernières séances.
Lu dans le cadre du jury du prix du Roman Fnac 2011
4 /7 dans le cadre du challenge le 1% littéraire organisé par Herisson
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