Il m’aura fallu un peu plus de 200 pages pour apprivoiser ce livre, passant de l’ennui au découragement, du sentiment étrange de ne pas trop savoir où j’allais à l’impression de désordre difficile à appréhender, mais avec au fond de moi l’envie forte de lire ce livre. Bien m’en a pris, il est de ces ouvrages que l’on mérite, qui ne se dévoile pas dès les premières pages.
L’écriture surprend au début. Elle fourmille de détails longuement évoqués, alors, que les choses capitales sont abordées succinctement, ou de manière plus elliptique. David Grossman joue continuellement avec les époques et les procédés narratifs. Si au départ, la manière surprend, et peut décourager, elle donne finalement à ce livre ce petit quelque chose en plus, qui en fait un grand livre.
Osez partir avec Ora et Avram sur les chemins de Galilée, autant pour pénétrer ce pays qui s’est fait dans la douleur, que pour découvrir ce fils tant aimé, Ofer, parti pour une dernière mission de 28 jours, que sa mère va raconter dans un désordre tel qu’il évoque la confusion de toute mère voyant son fils partir au combat avec le risque de ne pas en revenir. C’est cela qui hante Ora. Ora, qui veut dire lumière en hébreux…la lumière qu’elle apporte, et qu’elle porte en elle. Ora qui veut dire prière en latin…Cette randonnée, quelle effectue avec Avram, qui fut autrefois son amant- et un peu plus que cela-n’est autre qu’une prière pour le garder vivant.
« Quant à elle, depuis le premier jour, elle tirait sa force de son fils. »
Peut-on conjurer le sort en quittant tout pour ne pas entendre le pire ? Peut-on protéger ceux qu’on aime en refusant de les voir partir ? Ces questions qui restent ouvertes.
Ilan, le mari délaissant, grand absent de ce roman, y pourtant si présent. Ce curieux ménage à trois que forment Ilan, Ora, et Avram n’a cessé de fluctuer. Ils sont si liés, que cela finit finalement par se comprendre. C’est dans la douleur de la guerre des six jours que leur destin s’est forgé. Un long et angoissant prologue met en appétit le lecteur, pour déboucher sur le roman en lui-même, massif et peu aéré. De longs, très longs chapitres le composent. Il faut savoir à la fois prendre son temps et ne pas morceler sa lecture.
Ce livre, dont l’auteur a commencé l’écriture en 2003, a une résonance particulière, lorsque l’on sait que l’auteur perdra son fils cadet en 2006, tué au Sud-Liban. Un pays construit dans la douleur…
Une femme fuyant l'annonce, David Grossman
Seuil ( 18/08/2011)- Prix Médicis étranger 2011
666 pages
4ème de couverture :
Ora, une femme séparée depuis peu d’Ilan, son mari, quitte son foyer de Jérusalem et fuit la nouvelle inéluctable que lui dicte son instinct maternel : la mort de son second fils, Ofer, qui, sur le point de terminer son service militaire, s’est porté volontaire pour « une opération d'envergure » de 28 jours dans une ville palestinienne, nouvelle que lui apporteraient l’officier et les soldats affectés à cette terrible tâche. Mais s’il faut une personne pour délivrer un message, il en faut une pour le recevoir, pense Ora. Tant que les messagers de la mort ne la trouvent pas, son fils sera sauf. Aussi décide-telle, sans aucune logique, pour conjurer le sort, de s’absenter durant ces 28 jours en se coupant de tout moyen de communication qui pourrait lui apporter la terrible nouvelle. Ayant prévu une randonnée à travers le pays avec Ofer, elle part malgré tout. Au passage, elle arrache à sa torpeur Avram, son amour de jeunesse (le père d’Ofer ?) et l’emmène avec elle sur les routes de Galilée pour lui raconter leur fils. Elle espère maintenir en vie son enfant par la trame de mots qui dessinent sa vie depuis son premier souffle, et lui éviter ainsi le dernier. Le périple ici est l’occasion d’évoquer le passé : à mesure qu'Ora et Avram arpentent le pays à la beauté étonnante, se reconstitue le fil de la mémoire et des secrets qui enserrent les personnages. Ora, Ilan et Avram s’étaient liés, adolescents, pendant la guerre des Six Jours, dans un hôpital où ils étaient tous trois à l'isolement, alors que les combats faisaient rage à l’extérieur. C’est là que se sont noués les destins de chacun. Le stratagème de la mère réussira-t-il à préserver la vie du fils ? Quoi qu’il lui arrive, le récit le fait renaître avec une vigueur nouvelle.
A propos de l'auteur:
Né le 25 janvier 1954 à Jérusalem, David Grossman est un écrivain israélien, auteur de romans, d'essais et de livres pour la jeunesse. C'est l'une des figures de la littérature israélienne.
Son père est originaire de Galicie1 Grossman a étudié la philosophie et le théâtre à l'Université hébraïque de Jérusalem. Il a travaillé comme correspondant à Kol Israel, la radio nationale d'Israël. Il a été l'un des présentateurs de Cat in a Sack, un programme pour enfants qui fut diffusé de 1970 à 1984. Son livre Duel fut la première pièce de théâtre radio-diffusée. Avec Dani Eldar, il a présenté la populaire série radio au ton absurde Stutz (terme yiddish pour : « cela peut arriver »).
Il s'est rendu célèbre par sa première œuvre, Le vent jaune (הזמן הצהוב), où il décrivait les souffrances imposées aux Palestiniens par l'occupation de l'armée israélienne. Cet ouvrage lui vaudra l'accusation de trahison par le premier ministre de l'époque, Yitzhak Shamir1. Ses livres ont été traduits dans de nombreuses langues. En 1984, il remporta le prix du Premier Ministre pour une œuvre créative et était considéré comme candidat au Prix Nobel de littérature. Grossman vit à Mevasseret Zion, près de Jérusalem. Il est marié et père de trois enfants, Jonathan, 28 ans, Ruth, 18 ans et Uri, qui a été tué au combat le 12 août 2006 au Liban, peu de temps avant son 21e anniversaire.
Proche du « Camp de la paix », il a, comme la plupart des Israéliens, soutenu l'action d'Israël dans le conflit israélo-libanais de l'été 2006, mais estimait inutile l'extension de l'offensive menée par Tsahal. Le 10 août 2006, quelques jours avant la mort de son fils, lui et les écrivains Amos Oz et A.B. Yehoshua avaient lancé, d'abord dans le quotidien Haaretz, puis lors d'une conférence de presse, un appel au gouvernement israélien pour qu'il accepte un cessez-le-feu comme base pour aboutir à une solution négociée, décrivant la poursuite des actions militaires comme « dangereuse et contreproductive » et s'inquiétant du sort du gouvernement libanais.
Le 2 juin 2010, au lendemain de l'arraisonnement par la marine israélienne de bateaux pro-palestiniens au large de Gaza, il déclare : « Aucune explication ne peut justifier ni blanchir ce crime. Aucun prétexte ne peut servir à excuser ou à expliquer la stupidité des actes du gouvernement et de l'armée. Israël n'a pas envoyé ses soldats pour tuer des civils de sang-froid. De fait, c'était même la dernière chose qu'il voulait. Et pourtant. Une petite organisation turque, fanatique du point de vue religieux et radicalement hostile à Israël, a recruté pour sa cause plusieurs centaines de chercheurs de paix et de justice, et a fait en sorte de prendre Israël au piège, précisément parce qu'elle savait comment Israël réagirait, comment Israël était programmé pour réagir comme il l'a fait. [...] Il est clair que ce jugement n'implique aucun accord avec les motivations, ouvertes ou cachées, et souvent malveillantes, de certains participants à la flottille de Gaza. Car tous ne sont pas des humanitaires épris de paix, et les déclarations de certains d'entre eux sur la destruction d'Israël sont criminelles. Mais cela ne compte pas, tout simplement, car autant que nous le sachions, ces opinions ne méritent pas la peine de mort. »
Escale israélienne avec Lucie .
Pour aller plus loin, d'autres lectures , plus anciennes.....
1. Te retourne pas Handala, Olivier Gérard
2.Le troisième jour,Chochana Boukhobza
3.En retard pour la guerre, Valérie Zenatti
4.Histoire d'une vie, Aaron Appelfeld
31 ème ouvrage lu dans le cadre du challenge de Hérisson.
J'ai ressenti une sorte d'angoisse dans les premiers chapitre qui me faisait poser le livre pour faire autre chose, souffler, respirer. j'étais comme étouffée par trop d'anxiété, trop d'amour, trop de souffrances.... ce n'est pas parce qu'une lecture est difficile que ce n'est pas un grand livre.
RépondreSupprimerSelon les avis des lecteurs, il semble qu'il faille tenir au- delâ des 200 premières pages car dans son ensemble, il doit être très intéressant. Je le lirais dans les prochains mois, je sais qu'il est à la bibliothèque.
RépondreSupprimerCe livre a l'air intéressant mais effectivement pas facile à aborder.
RépondreSupprimerIl fait justement partie des livres, peu nombreux, que j'ai plutôt envie de lire, en littérature israélienne contemporaine. Je note, tout de même que sa lecture est visiblement assez ardue et exigeante. A réserver pour quand j'aurais du temps à lui consacrer.
RépondreSupprimerUn livre porté par un souffle sans faille.Les relations familiales y sont magistralement évoquées et ce Jules et Jim sur fond de l'histoire du pays le plus compliqué au monde est vraiment très profond.une date,vraiment,une pierre de touche dans la littérature contemporaine.
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