dimanche 2 août 2020

Le ghetto intérieur

Vicente Rosenberg a quitté la Pologne en 1928 ; autant pour fuir l’antisémitisme que pour fuir sa mère. Parvenu en Argentine il s’y installe, se marie, fonde une famille, se fait des amis et se construit une vie professionnelle.

A mesure que l’Europe s’enfonce dans la guerre, et les horreurs de la Shoah, le nouveau monde se relève économiquement.

Vicente reçoit des nouvelles de sa mère, de moins en moins souvent néanmoins, mais ne répond pas très assidûment.

A mesure qu’il a des nouvelles de plus en plus alarmantes à propos du sort de sa mère, prisonnière du Ghetto de Varsovie, Vicente s’enferme à son tour dans son propre Ghetto. Il se drape dans un silence en se coupant de ses amis, de sa famille et de son épouse. Rien, il ne dira rien de ce qui le hante, de la culpabilité qui le ronge au fil des jours.

Vicente, c’est le grand-père de l’auteur.

Je découvre ainsi la plume d’un auteur dont j’avais assez peu entendu parler avant qu’il ne reçoive le Prix des libraires de Nancy.

J’ai beaucoup aimé cet opus, sobre dans sa construction et son écriture, de plus intense. L’auteur s’est emparé avec brio de la psychologie de Vicente qu’il relate avec justesse et puissance. Ce qui frappe, c’est le contraste entre Vicente qui sait et se tait, et les autres qui ne savent pas, ne peuvent pas savoir et vivent comme si de rien n’était. Ils ne comprennent pas Vicente, lui-même incapable de se ″soulager″, ou pour le moins d’extérioriser sa culpabilité.

Le ghetto intérieur de Santiago H. Amigorena, aux éditions P.O.L (Août 2019,190 pages) Prix des libraires de Nancy 2019 et Prix de la Renaissance Française 2019


Santiago H. Amigorena (Né à Buenos Aires en 1962) écrit, depuis vingt-cinq ans, un projet littéraire qu’il a nommé, pour lui-même, Le Dernier Livre. Ce projet comporte six parties qui couvrent chacune six années de la vie du narrateur. La première partie, publiée en 1998, s’intitule Une enfance laconique et se compose de deux chapitres : Le premier cauchemar, qui raconte pourquoi, à l’âge de dis-moi, l’obscurité commença de lui faire peur, et La Première Lettre, qui s’achève en 1968, lorsque le narrateur, muet de naissance et plus, apprend enfin à écrire. Une jeunesse aphone, deuxième partie du projet, comporte également deux chapitres : Les premiers arrangements, publié en 2002, qui révèle la manière dont le narrateur, en 1973, découvrit la politique et sa plus noble possibilité (l’amitié) ; et Le Premier Exil, à paraître. Une adolescence taciturne, troisième partie du projet, se compose du Second Exil (publié en 2002), où le narrateur endure l’une des deux douleurs aiguës autres que dentaires les plus déchirantes de sa vie (celle d’avoir été arraché à sa langue maternelle), et des Premières Fois (publié en 2016), vaste catalogues des premières fois de l’adolescence qui s’achève par la dernière (celle où le narrateur fait l’amour pour première fois). La quatrième partie, Une maturité coite, couvre les six années suivantes et se compose également de deux chapitres : les joies intenses des deux ans du Premier Amour (2004) et les intenses souffrances des quatre années de la Première Défaite (2012). Le Premier Silence et L’Autre Silence, dont l’écriture n’est pas encore commencée, seront respectivement le premier et le second chapitre d’Une vieillesse discrète, cinquième partie du projet. Et enfin (et ouf ! pourrait-on dire et observer), la sixième partie, pour des raisons qu’il est prématuré d’expliquer ici, aura pour titre La Septième Partie.

Un certain nombre d’annexes, écrites sur des modes mineurs, sont également au programme. Certaines ont déjà été publiées (1978, 2003 parue sous le titre Des jours que je n’ai pas oubliés, 2086 parue sous le titre Mes derniers mots), d’autres (1941, 1983, 2008, 1780, 2005) ne sauraient tarder.



2 commentaires:

  1. Réponses
    1. Il n'est jamais trop tard ! Mon exemplaire m'attendais depuis sa parution; c'est dire. Il ne faut pas se laisser impressionner par celles et ceux qui lisent tout avant tout le monde. Souvent,j'aime bien laisser retomber la fièvre autour d'un livre, et m'en emparer quand plus personne n'en parle !

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