A une date incertaine (même si l’on devine aisément l’avènement de la dictature rouge), dans un lieu incertain (fictif, ou indéterminé), Khanh et sa fille Tiën, fuient leur pays sur un petit bateau de pêche avec pour seuls compagnie un père et son fils, et un chien.
« Partir pour renaître ailleurs » Il faut que la vie soit devenue trop difficile, trop douloureuse, trop périlleuse pour tout laisser derrière soi : une terre, la mémoire d’une épouse adorée disparue trop tôt dans des circonstances tragiques dévoilées dans les dernières pages du livre, une situation professionnelle (quoique de plus en plus compromise), un certain statut social qui va lui échapper et qui sera sa perte d’une certaine façon….
Dans ce dialogue à deux voix qui se succèdent, il est question de souvenirs du point de vue du père, et de la situation présente du point de vue de la fillette.
Khanh, qui est mathématicien, et également astrologue, utilise la symbolique des palais de mémoire pour se souvenir, mais surtout pour emmagasiner au maximum lorsque l’on laisse tout derrière soi. Son propos est grave, dur, violent parfois, sans concession. Et pourtant, l’espoir pointe au milieu d’un champ de ruines.
« Je pense sans mélancolie au pays que j’ai quitté. Quand le régime en place aura fini d’affamer son peuple, un jour nouveau se lèvera, et je pourrai revenir. »
Un espoir douché par un triste constat. « Il n’y a aucun espoir de retour dans le pays magnifique de l’amour. »
A contrario, Tiên s’en tient au ressenti du moment, à l’évocation enjolivée de l’aventure maritime qu’elle vit avec son père et les quelques passagers du bateau. Elle y met une forme de poésie, et de candeur qui tranche radicalement avec l’objectivité sans filtre de son père.
J’ai beaucoup apprécié la lecture de ce livre, et surtout la relecture de certains passages qui se révèlent tardivement.
J’ai aimé la dualité du propos, l’antagonisme de de deux personnages confrontés à une même réalité, mais ne l’appréhendant pas de la même manière.
Je relirai volontiers cette auteure.
Lecture commune avec Jostein .
Douze palais de mémoire d’Anna Moï, chez Gallimard (Février 2021,205 pages)
Née au Vietnam, Anna Moï est retournée y vivre en 1992 après avoir séjourné à Paris, Tôkyô et Bangkok. Elle développe depuis 2001 une œuvre polyforme : nouvelles (L'Écho des rizières, Parfum de pagode), romans (Riz noir, Rapaces, Violon), essai (Esperanto, desesperanto), document (Vietnam) ou encore manifeste (collectif Pour une littérature-monde).
Son avant dernier roman, Le Venin du papillon (Gallimard, 2017), a obtenu le Prix littérature-monde, décerné lors du Festival Étonnants Voyageurs à Saint-Malo.
Le double point de vue est le point fort de ce roman
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