samedi 4 septembre 2021

La carte postale

 


Je suis fille et petite -fille de survivants.

Il y a trois ans, Anne Berest et sa sœur Claire avait retracé dans un époustouflant roman la vie épique de leur arrière-grand-mère Gabriële, mariée au Peintre Francis Picabia.

Cette fois, c’est seule, qu’elle poursuit de défricher l’histoire familiale. En 2003, arrive chez Lélia, sa mère, une carte postale avec pour seule inscription, 4 prénoms : Ephraïm, Emma, Noémie, Jacques. Tous sont morts en déportation. Si la mère d’Anne sait cela, elle ignore en revanche de qui provient la carte, dont personne ne s’occupera pendant des années. Il faudra une réflexion pour le moins désobligeante à propos des juifs faite à la fille d’Anne pour que le souvenir de cette carte postale refasse surface.

Anne s’attache d’abord à recueillir auprès de sa mère une multitude de renseignements à propos de ses arrière-grands-parents Emma et Ephraïm. Ainsi suit elle le parcours de ce couple russe et lithuanien, fuyant dès leur prime jeunesse l’antisémitisme, et qui de la Lituanie, via la Palestine arriveront finalement en France pensant y trouver la paix pour y élever leurs 3 enfants. Seule Myriam échappera à la déportation. Sa destinée, et son épopée fera l’objet de la part d’Anne, d’une enquête minutieuse dont la finalité est de retrouver l’origine de la carte reçue quelques années plus tôt.

J’ai pris infiniment de plaisir à me plonger dans cette histoire familiale passionnante, et tragique. Anne Berest nous la présentée de manière vivante, en prenant la liberté d’intervenir personnellement sans que cela soit lourd et prenne le pas sur l’objet de ce livre. Il s’agit bien de redonner vie à des personnages ballotés et assassinés par l’histoire. Il est également question de rendre justice à la grand-mère de l’auteur, Myriam qui a pris sa part dans le combat contre l’ennemi.

C’est aussi l’occasion pour Anne de se repositionner dans sa judéité, alors qu’elle a reçu une éducation laïque, n’a jamais pratiqué. Qu’est-ce être juif de nos jours, alors que l’on assène à sa fille qu’on n’aime pas les juifs dans sa famille ?

Ce roman parfaitement construit, est d’une certaine façon, une suite logique à Gabriële (l’autre arrière-grand-mère de l’auteur), à ceci près qu’il raconte l’histoire d’une famille juive, de ses silences, de ses souffrances, et de ses femmes fortes et dignes. Il raconte également l’histoire de toutes ces familles marquées par la Shoah ; des histoires à la fois uniques, et semblables.

La carte postale d’Anne Berest, chez Grasset (Août 2021, 512 pages)

Anne Berest (née en 1979) est l’auteur de romans : La Fille de son père (Seuil, 2010), Les Patriarches (Grasset, 2012), Sagan 1954 (Stock, 2014), Recherche femme parfaite (Grasset, 2016), Gabriële, coécrit avec sa sœur Claire (Stock, 2017), de pièces de théâtre : La Visite, Les filles de nos filles (Actes Sud, 2020).

Elle a aussi écrit la série Mytho pour Arte, qui a reçu de nombreux prix, en France comme à l’étranger.

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