mardi 10 mai 2022

Vivre à ta lumière

Il y a une certaine continuité dans les romans d’Abdellah Taïa, une certaine constance, en tout cas un fil conducteur que j’apprécie de suivre au gré des publications de l’auteur.

Cette fois, il donne la parole à Malika, sa mère, sur trois périodes distinctes de l’histoire marocaine.

D’abord sous l’ère coloniale, Malika est mariée toute jeune à un homme qui est envoyé aussitôt au combat en Indochine d’où il ne reviendra pas, laissant Malika, jeune veuve sans enfants, rejetée par sa famille.

Puis durant les années 60, l’Indépendance venue, Malika s’est remariée, est mère d’une nombreuse fratrie, et qui doit lutter pour la liberté de sa fille que le père veut envoyer au service d’une famille française aisée.

Enfin, en 1999, à la veille du décès de l’ancien Roi, à l’aube d’un changement de génération à la tête du pays, Malika, de nouveau veuve, est menacée chez elle par un homosexuel, alors qu’elle a laissé fuir son propre fils voulant échapper aux persécutions dont sont l’objet les gays.

Abdellah Taïa déploie une écriture ciselée, rageuse, sèche et expéditive. Si le JE domine dans la bouche de Malika, il s’autorise de nombreuses variantes en faisant naviguer le JE d’un personnage à l’autre, dans des dialogues peu différentiés et à la ponctuation rare. Quelques pages, et nous voilà plongée dans un style bien à lui pour dire à la fois la puissance et la vulnérabilité de la Femme marocaine, à la fois résignée à son sort et en lutte contre les injustices.

Les thèmes récurrents de l’auteurs tels l’anticolonialisme, la violence en prison, la maltraitance envers la communauté gay qui ne peut vivre au grand jour et assumer ce qu’elle est, la pauvreté héritée de l’histoire qui se perpétue indéniablement au fil des générations se retrouvent au cœur de ce court et singulier roman, sensible et puissant.

Vivre à ta lumière d’Abdellah Taïa, aux éditions du Seuil (Mars 2022, 208 pages)

 

Abdellah Taïa (né en 1973 à Salé au Maroc) a grandi dans un quartier populaire entre Salé et Rabat où son père est employé dans une bibliothèque, mais sa mère ne sait ni lire ni écrire.

Abdellah Taïa se revendique gay. Il affirme son homosexualité à travers ses récits autobiographiques. Dans son pays, selon la loi, l'homosexualité est un crime grave, passible de prison. 

Il vit en France depuis 1999 et prépare à la Sorbonne une thèse de doctorat sur le peintre Fragonard. Il a enseigné en 2004 dans une université de New York. Il écrit en français.

Son premier recueil de nouvelles, Mon Maroc, paraît en 2001 aux éditions Séguier

Il est l'auteur de plusieurs romans dont "Le Jour du Roi" (éd. du Seuil) pour lequel il reçoit en 2010 le Prix de Flore. Et "Celui qui est digne d'être aimé" (Seuil,2017)

Depuis le début du Printemps arabe, il publie plusieurs tribunes dans des journaux français et marocains.

En 2012, il réalise son premier film, "L'Armée du salut", adaptation de son troisième roman qu'il présente à la Mostra de Venise 2013.

 

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