samedi 18 février 2023

Sambre ; Radioscopie d’un fait divers

 

Il y a des faits divers dont on se souvient toute une vie, soit parce qu’ils ont marqué une époque, une région, ou pour leur intensité dramatique (l’affaire Grégory, ou celle d’Outreau par exemple).

Et il y a les faits divers, bien plus nombreux qui ne dépassent pas le cadre d’une région, ou qui n’impriment pas particulièrement ; allez savoir pourquoi.

Tel est justement l’objet du livre enquête d’Alice Géraud, à propos de l’affaire du violeur de la Sambre qui s’est déroulée sur une période de trente ans durant laquelle 1 homme, aura violé pas moins d’une cinquantaine de femmes, et dont la résolution fût très tardive.

Nous sommes dans le nord de la France, dans la commune d’Aulnoye-Aymeries, non loin de Maubeuge. On y trouve des usines, un nœud ferroviaire important, trait d’union entre le nord de l’Europe et Paris, à proximité de la Belgique. C’est ce qu’on appelle le Val de Sambre.

Plutôt que d’axer son enquête sur le violeur, Alice Géraud, dont on apprendra à la toute fin du livre les raisons profondes de son intérêt marqué pour cette affaire et la manière de l’aborder, va rencontrer toutes les victimes des agressions ou tentatives d’agression. Naturellement, il en résulte beaucoup de répétitions tenant au mode opératoire constant voir rituel du criminel, sans pour autant qu’on puisse y trouver une logique chronologique puisque qu’il n’était pas régulier.

Ce qui me marque en tout premier lieu c’est le regard que la police portait sur ces affaires. A la fin des années 80, nous avions des policiers qui n’étaient pas formés à l’écoute, très peu d’entre eux étaient des femmes d’ailleurs. La parole des victimes étaient d’emblée mise en doute ; lors des interrogatoires, c’est tout juste si ce n’étaient pas elles les criminelles, celles qui avaient tenté le diable, qui fabulaient. Il en résulte au départ, des enquêtes bâclées, des pièces à conviction perdues, non recueillies ou inexploitables. Souvent les plaintes ne sont que de simples mains courantes autrement dit ça ou rien, c’est pareil.

Nous sommes à une époque, où les fichiers d’empreintes génétiques sont inexistants ; aucun moyen de recouper les informations, de mettre un nom sur un résultat ADN. Il faudra attendre de nombreuses années avant que tout cela se mette en place.

Enfin, Alice Géraud met en lumière les dysfonctionnements de la justice. Je suis effarée de constater les fréquent changements des acteurs des tribunaux ; à peine arrivés ils sont mutés ailleurs ; pire encore, cette région du nord, fait partie des endroits où l’on envoie des magistrats inexpérimentés, tout frais sortis de l’école, sans vraiment de consistance, pas du tout armés pour affronter ce genre d’affaire (rappelons-nous l’affaire d’Outreau, ou encore plus loin celle du petit Grégory, et du fameux petit juge…).Il y a des coins de France vraiment délaissés .La région fera aussi l’objet d’une désertification des tribunaux lors d’une réforme visant à mutualiser les moyens….

Tout cela occupe une grande partie de l’ouvrage qui prend fin sur le procès en première instance condamnant le coupable qui finira par être confondu avec ses empreintes génétiques…. enfin ….Mais faisant appel !

On y découvre une justice marchande de tapis, qui après le temps des assises, se réunit en catimini pour évaluer le pretium doloris, autrement dit le prix de la douleur. Comme si la douleur, ou la vie fichue avait un prix….

Et les victimes dans tout cela ? Peu ont eu la force de s’en sortir, d’aller au-delà, de parvenir à construire une vie personnelle et sociale. Beaucoup ont gardé d’énormes séquelles physiques, psychiques, ont vu leur vie intime saccagée.

Le travail de la police a fort heureusement évolué en trente ans. Les conditions de recueil de témoignage se sont humanisées, on fait davantage appel aux femmes pour s’occuper des femmes. La paroles des femmes est davantage écoutée. La notion de viol a elle aussi changé, sa définition est beaucoup plus large, plus en adéquation avec l’étendu de la perversité masculine ; on ne parle plus d’attouchement, ou d’attentat à la pudeur.

Je ne saurais dire si j’ai aimé ou non cet ouvrage. Il m’a intéressée à bien des égards parce qu’il m’a éclairé sur un domaine régalien ô combien capital dans une société civilisée et démocratique.

Mais il m‘a aussi un peu agacée par un aspect catalogue dans l’exposé de cette cinquantaine de crimes. Cela étant, je le comprends. Par respect pour les victimes, l’auteur ne pouvait en exclure certains ou profit d’autres. C’était tout ou rien.

Il n’empêche que le récit est souvent difficile à lire, moralement parlant. Voir le calvaire de toutes ces femmes se succéder des années durant et constater l’impuissance des pouvoirs publics est insoutenable.

Sambre, Radioscopie d’une fait divers d’Alice Géraud aux éditions JC Lattès (Janvier 2023, 400 pages)


Alice Géraud est journaliste, autrice et scénariste. Après avoir longtemps travaillé pour Libération, elle a cofondé et codirigé la rédaction du site Les Jours. Elle travaille aujourd'hui en indépendante. Elle est membre de « Toute Ressemblance… », un nouveau collectif d'autrices travaillant sur la narration du réel.

 

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