vendredi 24 mai 2024

Les yeux de Mona

 

Mona a dix ans, elle vit sa dernière année d’école primaire quand subitement, elle perd la vue quelques minutes durant. Il s’en suit une batterie d’examens qui ne donnent rien de particulier. Alors l’éminent spécialiste propose que la fillette suive une série d’entretiens avec un pédopsychiatre. Les parents de Mona sont très pris, et alors que la fillette est très proche de son grand-père, il est convenu que c’est ce dernier qui tous les mercredis, s’occupera de cela…Oui mais, le grand-père a plus d’un tour dans sa poche, et durant un an, une fois par semaine, il va faire découvrir à sa petite fille, les œuvres majeures que renferment les trois principaux musées parisiens, à savoir respectivement le Louvre, Orsay, et Beaubourg. Si Mona doit perdre la vue, il lui faut découvrir ce que l’art a produit de plus beau.

Un prologue, et épilogue encadrent 52 chapitres, chacun étant consacré à une œuvre. L’éditeur a eu l’idée géniale d’organiser la jaquette de telle manière à ce qu’elle contienne, par ordre de visite, une reproduction photographique de l’œuvre en question.

Le grand-père a une idée très précise de ce qu’il a attend de sa petite fille, et de ce qu’il est prêt à lui apporter. Il lui demande de consacrer au moins 15 minutes en silence pour observer l’objet du jour. S’en suit un dialogue savoureux entre Henry, Dadé, et Mona. Un échange dans lequel Henry explique, transmet ; un échange où l’on voit Mona évoluer, apprendre ; où sa réflexion prend de l’épaisseur et de la profondeur.

A ce fil narratif, s’ajoute à chaque chapitre, autre temporalité dans laquelle nous découvrons Mona dans la vie de tous les jours, en famille, dans ses réflexions intimes et surtout dans les non-dits familiaux qui, on va le voir tout au long du récit vont émerger pour prendre une place inédite dans la vie de Mona.

Ce livre est bouleversant à plus d’un titre. J’ai beaucoup aimé la relation particulière entre le grand-père et Mona ; deux écorchés vifs que l’art va rapprocher, réparer et transcender.

J’ai apprécié la façon dont l’auteur a expliqué l’art : ni trop, ni pas assez ; le juste dosage pour être compréhensible sans être condescendant, ni à contrario trop élitiste, et en particulier dans les œuvres dites difficiles. Certes, le choix des œuvres peut être discutable ; pourquoi l’une et pas une autre ; un choix suggestif de l’auteur, un choix audacieux aussi. Et puis le choix dans le schéma narratif de glisser en italique, une description quasi chirurgicale de l’œuvre. On la lit ou pas, en fonction de ce que le lecteur recherchera de sa lecture. Pour ma part, j’ai vite privilégié le dialogue entre Mona et Henry, plutôt que de chercher à tout prix à comprendre telle ou telle peinture. L’art est un prétexte pour soigner Mona, la faire grandir et lui révéler ce qu’inconsciemment elle porte en elle depuis des années.

Tout au long de ma lecture, j’ai fait le parallèle avec Le monde de Sophie, qui avait rendu compréhensible la philosophie là où avait échoué l’enseignant.

Ce livre est une très belle réussite, et me laissera un souvenir durable. Je ne suis pas près d’oublier Mona !

Les yeux de Mona, de Thomas Schlesser, aux éditions Albin Michel (Janvier 2024, 496 pages)


Thomas Schlesser est historien de l’art, enseignant et écrivain.

Il a soutenu en 2006 un doctorat en histoire et civilisations à l’École des hautes études en sciences sociales sur l’artiste réaliste Gustave Courbet. Sa thèse est publiée sous le titre "Réceptions de Courbet, fantasmes réalistes et paradoxes de la démocratie" (Les Presses du réel, 2007).

Ancien journaliste pour Beaux- Arts Magazine, radio Nova et rue89, il s'intéresse plus particulièrement aux rapports entre art et politique. Il a signé de nombreux travaux sur les rapports entre les champs esthétique (arts visuels, littérature, cultures de masse…) et politique.

Auteur de plusieurs essais, il a été récompensé en novembre 2017 par le Prix Bernier, décerné par l'Académie des Beaux-Arts, pour son livre "L'Univers sans l'homme" (2016).

Il a travaillé à l'Institut national d'histoire de l'art comme chargé d’études et de recherche (2002-2006) puis comme pensionnaire (2010). Depuis 2014, Thomas Schlesser dirige la Fondation Hartung-Bergman à Antibes, où il "a pour mission d’assurer la conservation et la valorisation des milliers d’œuvres, des archives et du patrimoine architectural de la propriété d’Antibes, conçue par Hartung". Il est également, depuis 2014, professeur à l'École polytechnique.

En janvier 2024, Thomas Schlesser publie un ouvrage exceptionnel, "Les Yeux de Mona". Véritable initiation à l’art, ce récit de transmission donne des clés pour comprendre 52 œuvres, et plus encore. Grand roman d'initiation à l'art et à la vie, histoire d'une relation solaire entre une petite fille et son grand-père, "Les Yeux de Mona" connaît un destin fabuleux : traduit dans plus de vingt pays avant même sa parution en France, c'est un phénomène international. Sélectionné pour le Grand Prix RTL-Lire Magazine Littéraire 2024.

Thomas Schlesser est le petit-fils du chanteur, cabarettiste d'origine gitane André Schlesser (1914-1985), et le fils de l’écrivain Gilles Schlesser (1944).

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