Avec
Englebert, j’entre presque par effraction dans l’oeuvre de Jean Hatzfzeld
consacrée au génocide Rwandais. Nul doute, j’y reviendrai, mais de manière plus
ordonnée. Cela étant, cela n’empêche en rien d’apprécier ce court récit.
C’est
court, c’est net, et sans bavure ; c’est aussi tranchant que les machettes
qui ont servi à décimer les populations Tutsis.
Jean
Hatzfeld se met dans la peau d’un homme qui a la soixantaine, et qui erre tel
un vagabond après avoir survécu aux terribles massacres qui ont jalonnés l’histoire
de son pays. (Oui, tout cela a démarré en 1959, et s’est répété jusqu’à l’apothéose en 1994).
Englebert,
c’est son nom, est bien connu de l’auteur. C’est à lui qu’il s’est confié des
années après.
Cet
homme intelligent, érudit comme on ne l’imagine pas était promis aux plus belles carrières qui
soient. Les drames, la perte de ses frères et sœurs, les fuites, les planques,
les discriminations successives finiront par le casser. Englebert boit trop ;
il erre dans sa ville de Nyamata. Mais Englebert est terriblement attachant.
Englebert a baissé les bras, il n’attend plus rien.
« Le génocide m’a
fait solitaire intérieurement, comme je l’ai dit. Voilà pourquoi dorénavant, j’évite
les complications. Je vais, je laisse. Ceux qui m’aiment, ils sont le grand
nombre, je les aime aussi. Ceux qui ne m’aiment pas, tant pis, je ne veux même
pas les rencontrer. »
« En tant que rescapé, je n’aime pas qu’on me rappelle
celui que j’ai été. » Englebert n’en veut à personne, il veut juste qu’on
lui fiche la paix, pouvoir boire à sa guise, déambuler, rire.
« Ce qui me fait rire, c’est d’être content.
Quand je suis content, j’aime amuser les autres. Mais j’évite le fou rire.
Attention, je ne ris pas comme un idiot. »
Ce
récit, qui se lit en apnée, nous happe, nous saisit, nous immerge en totalité
avec celui qui a subi, mais ne se plaint pas. Le ton colle au plus juste. Le
texte est superbe, fort et émouvant à bien des égards.
Je
dois (j’ose dire encore) cette découverte à Bernard Poirette, qui quand il ne
lit pas des polars a toujours de bonnes idées dans sa besace du samedi matin !
Englebert des collines, Jean Hatzfeld
Gallimard, Mars 2014
100 pages
4ème de
couverture :
«Un matin, j’étais avec Alexis. Nous avons
dissimulé deux enfants sous les feuillages et nous avons cherché notre trou de
vase. Les tueurs sont venus en chantant. Ils se sont approchés tout près, j’ai
senti leur odeur. J’ai chuchoté à Alexis : “Cette fois, nous sommes bientôt
morts.” Il m’a répondu : “Ne bouge pas, je vais les feinter.” Il a hurlé le
rire de la hyène. C’était très bien imité. Ils ont reculé de peur de la
morsure. Mais en s’écartant de leur chemin, ils ont découvert une cachette de
femmes et d’enfants. On a entendu les coups plus que les pleurs parce que les
malchanceux choisissaient de mourir en silence.»
Voilà
une quinzaine d’années, dans la ville de Nyamata, Jean Hatzfeld a rencontré
Englebert Munyambonwa, qui arpentait en haillons la grande rue, s’arrêtant dans
tous les cabarets, hélant les passants. Une amitié est née avec ce personnage
fantasque, rescapé des brousses de Nyiramatuntu, fils d'éleveurs, grand
marcheur aussi érudit qu’alcoolique, accompagné par ses fantômes dans un
vagabondage sans fin.
A propos de l’auteur :
Jean
Hatzfeld est né en 1949 à Madagascar. Il s’est inspiré de longues années de
reportage ou de correspondance de guerre pour écrire plusieurs romans et
récits. Il a publié des récits, L'Air de la guerre (prix Décembre 1994), Dans
le nu de la vie (prix France Culture 2001), Une saison de machettes (prix
Femina essai 2003), La stratégie des antilopes (prix Médicis 2007) et quatre
romans dont La Guerre au bord du fleuve et La Ligne de flottaison.
De
lui, les Éditions Gallimard ont déjà publié Où en est la nuit (collection
Blanche, 2011, Folio n° 5432).
Je l'ai entendu sur Inter un matin de bonne heure, et il en parlait très bien.
RépondreSupprimerJe ne connaissais pas. Un homme attachant et un coup de cœur, ça mérite que je m'y intéresse.
RépondreSupprimerJe ne connais pas, mais tu en parles si bien que je suis très tentée. Malheureusement, il n'est pas à la bibliothèque
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