jeudi 7 mars 2024

Et devant moi, le monde

 

Qui connait Joyce Maynard, sait qu’elle a une vitalité extraordinaire, une appétence pour la vie qui frise la boulimie. Elle met ses lecteurs à l’aise parle aisément d’elle sans trop tourner autour du pot. Et pourtant il lui aura fallu un quart de siècle pour parvenir à parler via l’écriture d’un des épisodes les plus irréalistes et douloureux de sa vie.

A peine âgée de dix-huit ans, étudiante à Yale, le très célèbre New-York Times publie dans ses pages un article qu’elle venait d’écrire et d’envoyer. Lu et visiblement apprécié par le non moins célèbre J.D Salinger, de trente -cinq ans son ainé, ce dernier la contacte par écrit pour lui dire tout le bien qu’il pensait de son article et plus généralement de son écriture. S’en suit une correspondance abondante débouchant sur une vie commune de quelques mois. Pour lui elle abandonne Yale, se coupe de ses amis… L’idylle ne durera que quelques mois. Joyce Maynard se fait congédier comme une malpropre, de manière lapidaire, et surtout méprisable et méprisante.

C’est cette histoire que nous présente ici, de manière linéaire et réaliste. L’histoire avec J.D Salinger occupe finalement assez peu de place. Joyce Maynard évoque longuement son enfance entre un père poète et alcoolique et une mère qui n’a vécu que pour le succès de ses filles et notamment Joyce qui lui doit sans aucun doute son amour de l’écriture, et de la correspondance. La période qui a suivi sa violente rupture avec Salinger est pour Joyce Maynard une succession d’années agitées durant lesquelles elle a travaillé dur pour se faire un nom, se reconstruire, et envisager une vie personnelle et familiale. Elle en parle sans fard, mais avec l’exigence d’honnêteté qu’elle s’impose dans un esprit de crédibilité vis-à-vis de ses enfants.

C’est peu dire que cet ouvrage a été mal accueilli tant par l’intéressé en particulier, que par le monde littéraire en général.

Certains y verront un déballage impudique, d’autres une épreuve de vérité, une confrontation de l’auteur avec son passé et une façon de passer à autre chose. Au moment où elle a écrit ce récit (1998 en langue originale), il fallait un certain courage pour d’une part s’attaquer à un mythe comme Salinger avec tous les risques de procès qu’elle encourrait, et d’autre par avouer publiquement d’avoir été durant quelques mois dans une forme d’emprise, d’avoir cru en quelqu’un et de s’être laissé dévaster de la sorte.

Entre qui me concerne, j’ai beaucoup apprécié cet opus qui me permet de mieux comprendre l’œuvre romanesque de l’auteur, tout ce qu’elle fait en parallèle autour de la thérapie par l’écriture.

Et devant moi, le monde de Joyce Maynard, traduit de l’américain par Pascale Haas aux éditions Philippe Rey (2011,462 pages) ; 10/18 (2012,504 pages).


Joyce Maynard est une écrivaine américaine, autrice de nombreux romans et essais.

Son parcours d'écrivaine commence véritablement en avril 1972. Elle est alors étudiante à l'Université Yale, lorsque le prestigieux New York Times Magazine publie son article intitulé "An 18-Year-Old Looks Back on Life" (Une fille de dix-huit ans se retourne sur sa vie).

À la suite de cet article, elle commence une correspondance abondante avec l'écrivain J. D. Salinger (1919-2010), puis, en 1972, à l'âge de dix-huit ans, commence une relation amoureuse avec lui, relation qui la marquera profondément. En 1998 elle l'évoquera dans son récit autobiographique "Et devant moi, le monde" ("At Home in the World") avec beaucoup de retenue.

Elle publie son premier roman, "Baby Love", en 1981. En 1992 paraît son roman "Prête à tout" ("To Die For") qui connaîtra un grand succès. Il sera adapté au cinéma par Gus Van Sant en 1995 dans le film du même nom.

En 2009, un autre de ses romans connaît un grand succès, "Long week-end" ("Labor Day"), comédie douce-amère sur un jeune homme et sa mère qui voient leur existence bouleversé le jour où ils sont abordés par un évadé. Le roman sera adapté au cinéma en 2013 par Jason Reitman sous le titre "Last Days of Summer", avec Kate Winslet et Josh Brolin.

En 2013, elle publie "L’homme de la montagne" ("After Her") qui obtient un beau succès, il sera finaliste du grand prix des lectrices Elle 2015. En 2019 De si bons amis.

Elle reçoit le Grand Prix de littérature américaine 2021 et le Prix de Madame Figaro - Grand prix de l'héroïne - Roman étranger 2022 pour "Où vivaient les gens heureux" ("Count the Ways", 2021), fiction d'inspiration autobiographique.

Joyce Maynard a été mariée avec Steve Bethel de 1977 à 1989. Ensemble, ils ont eu trois enfants dont l'acteur Wilson Bethel (1984).

En 2013, elle épouse l'avocat Jim Barringer qui décède d'un cancer du pancréas en 2016. Elle retrace ces années passées avec lui dans "Un jour, tu raconteras cette histoire" ("The Best of Us", 2017).

Elle vit à San Francisco.

 

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