Le sujet avait tout pour constituer un piège qui se refermer sur l’auteur. Trop technique, il pouvait se transformer en un ouvrage un peu inaccessible. Trop sentimental, il pouvait prendre en otage un lecteur à la corde trop sensible. Trop moral, il pouvait virer en un plaidoyer en faveur du don d’organe.
Rien
de tout cela, bien au contraire.
Certes, pour un minimum de crédibilité, et
donner de la substance à son roman, Maylis de Kerangal s’est fortement
documentée sur la question ; et cela se ressent ; les professionnels
sentent d’emblée qu’il n’y a pas d’à peu près dans son propos. Mais, et c’est
ce qui fait la différence, l’auteur a su doser ses connaissances, et la manière
de les amener.
Évidemment,
la fibre sensible du lecteur est sollicitée. Il y a beaucoup de passages
émouvants dans ce roman sans que cela paraisse trop pathos. Je retiens, entre
autres, ce moment de communion entre Simon et tout ce qu’il quitte via Rémige.
Rémige
organe vital de ce roman, homme aux multiples facettes, et multiples passions,
profondément humain. (Tout comme la rémige, essentielle à l’oiseau pour voler….)
Enfin,
Réparer les vivants montre le
cheminement intérieur, affectif, et toutes les ambiguïtés des hommes et des
femmes confrontés un jour dans leur vie
à la douloureuse question du don d’organe pour leur proche qui n’est plus en
capacité de décider. Maylis de Kerangal met en lumière un personnage clé qu’est
Thomas Rémige, celui chargé de recueillir le consentement, ou pas des familles,
avec tout le tact, le doigté, et la psychologie que cela requiert en ce moment
particulièrement douloureux pour ceux qui perdent un être cher, et dont la
décision va redonner ou pas de la vie à d’autres.
Car,
de la mort de l’un dépend la vie de plusieurs autres.
Quand
le malheur des uns peut redonner de l’espoir à d’autres.
Quand
il faut accepter la perte pour donner anonymement et gratuitement.
Il
y a dans l’écriture de Maylis de Kerangal toute l’urgence qui convient à la
situation avec des phrases qui claquent, le rythme alerte, l’absence de temps
mort, cette frénésie qui nous pousse
inexorablement à poursuive. Mais on y trouve également ces longues phrases qui
nous rappellent que malgré l’urgence, il y a ce temps à donner au temps, que le
temps du deuil et de la réflexion n’est pas celui du chirurgien, que chacun
avance au rythme qui est le sien. Ce temps qui est propre à chacun est
représenté par chaque moment de
diversion que l’auteur glisse dans son histoire pour laisser au personnel,
comme aux familles un espace, une respiration. Notons cette scène inaugurale
magnifique de précision, de poésie, de rêve, d’aventure, et de promesse pour un
jeune surfant sur la vie avec l’innocence propre à sa jeunesse.
Ce
livre coup de cœur raisonne en moi non seulement à titre privé, car il remet à
jour nombre de réflexions que j’ai pu me faire quant à mon propre
positionnement sur le sujet. Mais il raisonne aussi sur le plan professionnel.
Peu de personne savent à quel point un cœur qui bat peut être beau à voir quand
il est mis à nu. Peu de personne savent
quelle émotion étreint une équipe chirurgicale quand on redonne à un cœur
l’impulsion pour le remettre en marche, ou quand un rein arrive pour être
transplanté et changer la vie d’un
dialysé.
Réparer les vivants,
Maylis de Kerangal
Editions verticales,
Janvier 2014
288 pages
Prix RTL-Lire 2014
Roman des étudiants Fance culture-Télérama 2014
Prix Orange du livre 2014
Prix relay 2014
Roman des étudiants Fance culture-Télérama 2014
Prix Orange du livre 2014
Prix relay 2014
4ème de
couverture :
«
Le cœur de Simon migrait dans un autre
endroit du pays, ses reins, son foie et ses poumons gagnaient d’autres
provinces, ils filaient vers d’autres corps. »
Réparer les vivants est le
roman d’une transplantation cardiaque. Telle une chanson de gestes, il tisse
les présences et les espaces, les voix et les actes qui vont se relayer en
vingt-quatre heures exactement. Roman de tension et de patience,
d’accélérations paniques et de pauses méditatives, il trace une aventure
métaphysique, à la fois collective et intime, où le cœur, au-delà de sa
fonction organique, demeure le siège des affects et le symbole de l’amour.
A propos de l’auteur :
Née
en 1967, Maylis de Kerangal a été éditrice pour les Éditions du Baron perché et
a longtemps travaillé avec Pierre Marchand aux Guides Gallimard puis à la
jeunesse.
Elle
est l’auteur de quatre romans aux Éditions Verticales, Je marche sous un ciel
de traîne (2000), La vie voyageuse (2003), Corniche Kennedy et Naissance d’un
pont (Verticales, 2010; prix Franz Hessel et prix Médicis 2010; Folio 2012)
ainsi que d’un recueil de nouvelles, Ni fleurs ni couronnes («Minimales», 2006)
et d’une novella, Tangente vers l’est («Minimales», 2012; prix Landerneau
2012). Aux Éditions Naïve, elle a conçu une fiction en hommage à Kate Bush et
Blondie, Dans les rapides (2007; Folio, mai 2014).
Lecture commune avec Sylire.
D'autres avis : Sylire ; Titine ; Fransoaz ;Lisa ; Manu ; Claudilucia ; Claire-Jeanne ;
Pour le challenge d'Asphodèle : Prix RTL-Lire 2014
Je crois que j'ai autant de bonheur à te lire ici que j'en ai eu à lire le texte de Maylis de Kerangall. Tu en parles avec énormément de justesse, de sensibilité, de connaissances... Si j'ai remarqué le nom de famille "Limbres" proche des "limbes", je n'avais pas fait le rapprochement pour Rémige. 1000 lecteurs, mille approches différentes de cette lecture qui résonnera longtemps dans nos cœurs.
RépondreSupprimerAbsolument pas dans le milieu médical, j'ai eu effectivement l'impression d'une grande justesse, il n'y a pas d'à peu près dans ce qui est raconté.
RépondreSupprimerQue de coups de coeur pour ce roman qui le mérite amplement.
RépondreSupprimerJe crois, même si je ne partage pas ton enthousiasme, qu'effectivement l'auteure s'est énormément documentée et que tout est d'une précision remarquable. C'est bien que quelqu'un qui est dans la profession médicale nous le confirme.
RépondreSupprimerTon billet est superbe, si ce que j'aurais aimé écrire mais je n'ai pas ton talent.
RépondreSupprimerune lecture que j'ai bcp appréciée également!
RépondreSupprimerJe ne l'ai pas encore lu car je veux l'acheter et mon budget livres est bien écorné
RépondreSupprimer