dimanche 1 juin 2014

Réparer les vivants


Le sujet avait tout pour constituer un piège qui se refermer sur l’auteur. Trop technique, il pouvait se transformer en un ouvrage un peu inaccessible. Trop sentimental, il pouvait prendre en otage un lecteur à la corde trop sensible. Trop moral, il pouvait virer en un plaidoyer en faveur du don d’organe.

Rien de tout cela, bien au contraire.

 Certes, pour un minimum de crédibilité, et donner de la substance à son roman, Maylis de Kerangal s’est fortement documentée sur la question ; et cela se ressent ; les professionnels sentent d’emblée qu’il n’y a pas d’à peu près dans son propos. Mais, et c’est ce qui fait la différence, l’auteur a su doser ses connaissances, et la manière de les amener.

Évidemment, la fibre sensible du lecteur est sollicitée. Il y a beaucoup de passages émouvants dans ce roman sans que cela paraisse trop pathos. Je retiens, entre autres, ce moment de communion entre Simon et tout ce qu’il quitte via Rémige.

Rémige organe vital de ce roman, homme aux multiples facettes, et multiples passions, profondément humain. (Tout comme la rémige, essentielle à l’oiseau pour voler….)

Enfin, Réparer les vivants montre le cheminement intérieur, affectif, et toutes les ambiguïtés des hommes et des femmes confrontés un jour dans  leur vie à la douloureuse question du don d’organe pour leur proche qui n’est plus en capacité de décider. Maylis de Kerangal met en lumière un personnage clé qu’est Thomas Rémige, celui chargé de recueillir le consentement, ou pas des familles, avec tout le tact, le doigté, et la psychologie que cela requiert en ce moment particulièrement douloureux pour ceux qui perdent un être cher, et dont la décision va redonner ou pas de la vie à d’autres.

Car, de la mort de l’un dépend la vie de plusieurs autres.
Quand le malheur des uns peut redonner de l’espoir à d’autres.
Quand il faut accepter la perte pour donner anonymement  et gratuitement.

Il y a dans l’écriture de Maylis de Kerangal toute l’urgence qui convient à la situation avec des phrases qui claquent, le rythme alerte, l’absence de temps mort, cette frénésie qui nous  pousse inexorablement à poursuive. Mais on y trouve également ces longues phrases qui nous rappellent que malgré l’urgence, il y a ce temps à donner au temps, que le temps du deuil et de la réflexion n’est pas celui du chirurgien, que chacun avance au rythme qui est le sien. Ce temps qui est propre à chacun est représenté par chaque moment de diversion que l’auteur glisse dans son histoire pour laisser au personnel, comme aux familles un espace, une respiration. Notons cette scène inaugurale magnifique de précision, de poésie, de rêve, d’aventure, et de promesse pour un jeune surfant sur la vie avec l’innocence propre à sa jeunesse.

Ce livre coup de cœur raisonne en moi non seulement à titre privé, car il remet à jour nombre de réflexions que j’ai pu me faire quant à mon propre positionnement sur le sujet. Mais il raisonne aussi sur le plan professionnel. Peu de personne savent à quel point un cœur qui bat peut être beau à voir quand il  est mis à nu. Peu de personne savent quelle émotion étreint une équipe chirurgicale quand on redonne à un cœur l’impulsion pour le remettre en marche, ou quand un rein arrive pour être transplanté  et changer la vie d’un dialysé.

Réparer les vivants, Maylis de Kerangal
Editions verticales, Janvier 2014
288 pages
Prix RTL-Lire 2014
Roman des étudiants Fance culture-Télérama 2014
Prix Orange du livre 2014
Prix relay 2014
 


4ème de couverture :

« Le cœur de Simon migrait dans un autre endroit du pays, ses reins, son foie et ses poumons gagnaient d’autres provinces, ils filaient vers d’autres corps. » 
           
Réparer les vivants est le roman d’une transplantation cardiaque. Telle une chanson de gestes, il tisse les présences et les espaces, les voix et les actes qui vont se relayer en vingt-quatre heures exactement. Roman de tension et de patience, d’accélérations paniques et de pauses méditatives, il trace une aventure métaphysique, à la fois collective et intime, où le cœur, au-delà de sa fonction organique, demeure le siège des affects et le symbole de l’amour.

A propos de l’auteur :

Née en 1967, Maylis de Kerangal a été éditrice pour les Éditions du Baron perché et a longtemps travaillé avec Pierre Marchand aux Guides Gallimard puis à la jeunesse.
Elle est l’auteur de quatre romans aux Éditions Verticales, Je marche sous un ciel de traîne (2000), La vie voyageuse (2003), Corniche Kennedy et Naissance d’un pont (Verticales, 2010; prix Franz Hessel et prix Médicis 2010; Folio 2012) ainsi que d’un recueil de nouvelles, Ni fleurs ni couronnes («Minimales», 2006) et d’une novella, Tangente vers l’est («Minimales», 2012; prix Landerneau 2012). Aux Éditions Naïve, elle a conçu une fiction en hommage à Kate Bush et Blondie, Dans les rapides (2007; Folio, mai 2014).

Lecture commune avec Sylire

D'autres avis : Sylire ; Titine ; Fransoaz ;Lisa ; Manu ; Claudilucia ; Claire-Jeanne ;





Pour le challenge d'Asphodèle : Prix RTL-Lire 2014



7 commentaires:

  1. Je crois que j'ai autant de bonheur à te lire ici que j'en ai eu à lire le texte de Maylis de Kerangall. Tu en parles avec énormément de justesse, de sensibilité, de connaissances... Si j'ai remarqué le nom de famille "Limbres" proche des "limbes", je n'avais pas fait le rapprochement pour Rémige. 1000 lecteurs, mille approches différentes de cette lecture qui résonnera longtemps dans nos cœurs.

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  2. Absolument pas dans le milieu médical, j'ai eu effectivement l'impression d'une grande justesse, il n'y a pas d'à peu près dans ce qui est raconté.

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  3. Que de coups de coeur pour ce roman qui le mérite amplement.

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  4. Je crois, même si je ne partage pas ton enthousiasme, qu'effectivement l'auteure s'est énormément documentée et que tout est d'une précision remarquable. C'est bien que quelqu'un qui est dans la profession médicale nous le confirme.

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  5. Ton billet est superbe, si ce que j'aurais aimé écrire mais je n'ai pas ton talent.

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  6. une lecture que j'ai bcp appréciée également!

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  7. Je ne l'ai pas encore lu car je veux l'acheter et mon budget livres est bien écorné

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