mardi 21 mars 2023

Les sources

Mes livres coup de cœur sont rares, de plus en plus rares. Je ne me souviens pas d’un livre coup de cœur qui marque au point qu’il me soit impératif de le relire…Marie-Hélène l’a fait ! Depuis longtemps, ses ouvrages sont teintés de son expérience personnelle, et de son enfance sur les bords de la Saintoire, dans son Cantal natal. Celui-là est sans aucun doute le plus personnel, le plus intime. Il m’a littéralement bouleversée de part ce qu’il dégage de force, de pudeur, de violence larvée et de concision.

Demain, chez ses parents, elle fera semblant. (…) elle a fait sa vie comme ça ; elle va avoir trente ans et sa vie est un saccage, elle le sait, elle est coincée, vissée, avec les trois enfants, il les regarde à peine, mais il est leur père, il est son mari et il a des droits. (…) Elle doit tenir son rang.

Ce roman est construit en trois actes, à des dates bien précises chaque temps avec un point de vue différent. Chaque date est symbolique.

En premier lieu, en cette date de résolution de la guerre des six jours, qui sonne pour la mère comme la fin de son mariage. Mariée et mère de 3 enfants, en ce week-end comme les autres de visite à la famille, c’est décidé, elle ne reviendra pas ; elle se souvient de ses 8 années de mariages, de la violence, des coups et des bleus qu’elle cache, de ce corps ravagé par les grossesses qui la complexe, de cette vie faite de travail, de rituels, d’humiliations, de silences et de sacrifices où il faut tenir son rang, comme on le lui a appris.

Le dimanche matin, quand ils descendent, elle rumine sa vie, les sept dernières années, depuis le mariage. Elle est comme une vache lourde, une vieille vache fatiguée, une vache fourbue ; elle rumine et elle attend.

Elle ne reviendra pas, les enfants non plus !

En second lieu, en 1974, alors qu’un président réformiste pour les femmes vient d’être élu, c’est le père qui se souvient. Sa femme l’a quitté, il ne comprend pas bien ce qui lui est arrivé. Il pensait qu’elle reviendrait, qu’il la tiendrait avec l’argent…Il est seul dans la ferme dont il a racheté sa part à elle, et qu’il doit exploiter pour payer les traites. Les filles sont parties en ville pour étudier et ne reviennent que 2 semaines pour les vacances. Il regrette son premier amour, du temps où il faisait son armée au Maroc. Il aurait pu rester ; seulement voilà, il ne voulait pas obéir, ni risquer d’être envoyé en Algérie. Il est rentré, a épousé la mère des enfants…

Enfin, en ce jour de 2021, Claire, la seconde fille, revient aux sources pour rendre les clefs. La maison a été vendue. Le père est mort.

C’est connu, Marie-Hélène Lafon va droit au but, ne s’engage pas dans les longueurs ; c’est encore plus vrai ici : son écriture est encore plus resserrée ; Il n’y a rien de trop, chaque mot est pesé, choisi ; chaque phrase se fait précise .Le superflu n’a pas sa place . Pas de scènes de voyeurisme pour parler de la violence conjugale, mais elle plane tout au long de la première partie. Pas de longs discours sur l’émancipation des femmes au tournant des années 70 ; la mère un jour dit stop ! et s’y tient, résiste, va au bout de sa décision.

Enfin, et c’est un thème récurent chez l’auteur, la ruralité et surtout son Cantal natal sont omniprésents. On sent aussi un virage important dans ces métiers de la terre et ses difficultés croissantes.

Marie-Hélène Lafon signe ici un roman âpre, aussi bref que puissant, et prouve encore une fois son immense talent !

Les sources de Marie-Hélène Lafon, aux éditions Buchet-Chastel (Janvier 2023, 120 pages)

Marie-Hélène Lafon est une professeure agrégée et écrivaine française née en 1962.

Née dans une famille de paysans, elle est élève à l'Institution Saint-Joseph (collège) puis à La Présentation Notre-Dame (lycée) deux pensionnats religieux de Saint-Flour.

Elle part ensuite étudier à Paris, à la Sorbonne, où elle obtient une maîtrise de latin et le CAPES de lettres modernes. Elle obtient également un Diplôme d'études approfondies (DEA) à l'Université Paris III-Sorbonne Nouvelle puis un doctorat de littérature à l'Université Paris VII-Denis Diderot.

Elle devient agrégée de grammaire en 1987. Elle enseigne le français, le latin et le grec dans le collège Saint-Exupéry, Paris 14e, en banlieue parisienne, dans un collège situé en Zone d’Éducation Prioritaire, puis à Paris, où elle vit.

Elle commence à écrire en 1996, à 34 ans. Son premier roman "Le soir du chien" (2001) est récompensé par le prix Renaudot des lycéens en 2001.

Elle avait précédemment écrit des nouvelles - pour lesquelles elle ne trouvait pas d'éditeur - dont "Liturgie", "Alphonse et Jeanne", qui seront publiées l'année suivante dans le recueil "Liturgie" (2002), récompensé par le prix Renaissance de la Nouvelle en 2003.

Elle préside le prix littéraire des lycéens de Compiègne en 2003-2004.

Lauréate de nombreux prix, Marie-Hélène Lafon obtient le Prix du Style 2012 pour "Les Pays" et le Prix Goncourt de la nouvelle en 2016 pour "Histoires". Elle reçoit le Prix Renaudot 2020, pour son roman "Histoire du fils".Nos vies, en 2017 ;Joseph en 2014 ;

Célibataire et sans enfant, son département d'origine, le Cantal, et sa rivière, la Saintoire, sont le décor de la majorité de ses romans.

 

 

2 commentaires:

  1. j'aime cette auteure j'aime ses sujets de roman ses personnages son écriture je n'ai pas encore lu celui là mais ça va venir

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  2. Merci pour ce très joli billet qui donne envie de lire l'autrice. Je me souviens l'avoir écoutée plusieurs fois à "La Grande Librairie", mais je n'ai encore jamais rien lu d'elle, curieusement. "Histoire du fils" est sur nos étagères, je note celui-là :-) !

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